Chapitre 15.1

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« Rapport d'observation n°6H4-12 – Aile de la gestion – Vie dans l'au-delà :

Il est à anticiper qu'à termes l'Humanité sera plus synthétique qu'organique. Pour préserver les chances de survie de notre civilisation, la plupart de l'élite sélectionnée pour le voyage devra s'être affranchie de ses faiblesses biologiques pour s'assurer un meilleur taux de survie dans son nouvel habitat. »

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Trois jours durant, Kian demeura dans le noir, isolé, la voix d'Andile Harris et sa rubrique « Nature sauvage » dans les oreilles. Il regarda l'obscurité, vide, troublé, échangea des listes de données sur les composants cybernétiques en rupture avec Tempo pour son commerce de pièces rares, compta, allongé à même le sol, réarrangea la cellule de repos dans laquelle il se trouvait. Son esprit submergé peinait à se réguler. Dès qu'une forme de tranquillité s'instaurait, son corps se sentait de nouveau en danger et retombait dans l'agitation. Kai, la lumière de l'extérieur, les voix dans les parois, le cliquetis des ventilations mal vissées, l'écho trouble des pas sur le plancher rafistolé, il suffisait d'un mouvement de battement pour que tout retombe sur lui et l'écrase à nouveau.

Il reprit le contrôle lorsque la faim le tenailla si fort qu'il sentit la douleur tordre ses entrailles. Les membres cotonneux, il força alors sur ses jambes pour se redresser, fixa son casque anti-bruit sur ses oreilles, rabattit sa capuche, et compta jusqu'à cent avant d'oser ouvrir la porte de sa cellule. Les deux pans s'écartèrent. Attentif au poids de son corps sur ses pieds, il longea le joint creux qui séparaient les deux lignes de dalles métalliques pour rejoindre à petits pas déséquilibrés le réfectoire. Kai s'y trouvait. Dès qu'il aperçut l'homme, l'adolescent s'empressa de lui préparer un gobelet, de le poser sur la table de service et de l'inviter à le prendre. Kian s'exécuta sans un mot et s'installa sur la malle de matériel, dans l'angle d'un pilier et d'une réserve d'équipement. Il lui suffit de deux gorgées pour se souvenir de son impolitesse. Il pencha la tête, inconfortable, et revint sur ses pas. Kai, qui échangeait quelques mots avec un soldat, se tut et se tourna.

— Merci, lâcha Kian.

— D-de... rien ?

Kian reprit alors sa place dans un coin de la pièce et consomma son repas en silence, sous le regard curieux des membres de Nwelwe présents dans le réfectoire. Recroquevillé sur lui-même, il s'effaça dans le décor jusqu'à ce que personne ne fasse plus attention à lui.

Les jours qui suivirent, il répéta le même schéma. Compter pour se donner du courage, sortir de sa cellule, prendre le gobelet que Kai lui préparait et s'asseoir sur la malle à matériel. Au début, son environnement se superposa aux mots familiers de son reporter préféré, qui tournaient en boucle dans son système d'écoute, mais peu à peu, il parvint à s'en détacher. Andile Harris se tut, le vacarme étouffé de Nwelwe se précisa jusqu'à former une toile de plus en plus familière. Il observait les gens se mouvoir, les murmures glisser d'un soldat à un autre, les luminaires vieillis clignoter en hauteur. L'anxiété se tamisa. Plus à l'aise, moins soucieux de se confronter à un imprévu qu'il ne pouvait gérer, il laissa le besoin d'appréhender écraser l'angoisse, puis l'ennui le remplacer.

Nwelwe ressemblait à une fourmilière de déviants du système technocratique. Chaque individu quittait le nid pour le réapprovisionner et nourrir ses habitants. Les soldats sortaient pour brouiller les pistes, récupérer des objets, planifier les stratégies d'offensive pour les prochains mouvements, les informateurs disparaissaient pour rapporter des données dont seuls eux connaissaient la provenance, les tireurs faisaient du repérage dans les hauteurs avant de transmettre les cartographies nécessaires aux prochains déplacements, les ravitailleurs arpentaient le dôme à la recherche de vivres et de matériel de soin. Loin de l'alcôve isolée qu'elle représentait des années plus tôt, Nwelwe avait évolué en un système complexe, une toile mobile et ancrée au plus profond de Neo-Bloemfonteim, à l'abris des regards indiscrets.

La Fourmi FantômeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant