Chapitre 7.1

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« Rapport d'observation n° 14TN89-156 – Aile du corps d'avenir – Neurologie :

Le cobaye n°2153699 s'est éteint 14 minutes avant de redémarrer. L'implant a épargné à son cerveau un niveau de stress de 30%, mais il a fondu. Le cobayen°2153699 est décédé. »

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— Hey.

Kian remplit son gobelet et repassa dans son esprit ses objectifs quotidiens, encore léthargique de sa nuit. Il avait peiné à trouver le sommeil, et son long travail de la veille ne l'épargnait pas.

— J'ai dit « Hey », répéta la femme derrière lui en le poussant.

Le technicien se raidit, maintint son épaule douloureuse d'une main crispée et s'écarta. Immobile, il regarda son repas déversé sur son pantalon et son t-shirt, le cœur battant. Ça recommençait. Il chercha Jan du regard, sans le trouver. Évidemment. Il avait vérifié jusqu'à trois fois avant de s'aventurer dans le réfectoire, et contrôlé près de quatre fois son emploi du temps et ses allées répétées sur les enregistrements du dernier mois. Jan se trouvait dans les derniers niveaux, à frapper un prisonnier ou tenter de lui soutirer d'autres informations par la torture.

La femme se servit un gobelet et se retourna vers lui, encore agacée. Trois fois qu'elle lui demandait de se dépêcher, deux qu'elle l'interpellait pour prendre sa place, et Kian n'avait pas bougé. Elle le dévisagea un moment, mémorisant les boucles brunes épaisses qui soulevaient sa capuche et le casque antibruit qu'elles masquaient. Un rictus amer étira ses lèvres.

— T'es l'gars du niveau 1, devina-t-elle.

— Non.

Elle soupira et tira sa capuche d'un mouvement brusque. Incommodé par la lumière, Kian baissa la tête et s'écarta un peu plus, mais son interlocutrice ne l'entendait pas de cette manière. Elle s'avança pour mieux lui faire face, jusqu'à ce que son visage le surplombe de quelques centimètres. Face à sa gorge à la trachée modifiée, l'homme se contint de tout mouvement.

— T'es pas l'gars du niveau 1 ? lâcha-t-elle.

— Non.

— Alors pourquoi ta mutation vient de l'autre Zuma du niveau 1 ?

Kian chercha à mettre de l'ordre dans ses pensées avant de parler, mais la garde ne lui laissa pas le temps de répondre. Elle saisit son crâne de ses doigts en polymères augmentés et le força à lui faire face dignement. Le technicien se contorsionna, chercha à lui échapper, brûlant d'un contact qu'il n'avait pas désiré, et marmonna pour limiter le stress. La femme empoigna ses boucles, intriguée. Elle finit par le lâcher après quelques secondes, sans savoir si elle devait se sentir vexée ou amusée. Kian s'isola près des machines à repas et se recroquevilla sur lui-même entre le meuble et un poteau en béton armé entaillé par l'usure.

— C'est quoi ton problème, mec ? lança-t-elle. On te touche, tu gémis comme une gonzesse, on te parle, tu nous ignores, on te pose une question, tu réponds pas. Tu cherches les problèmes.

— N-non, balbutia-t-il.

— Si, mon gars, tu cherches des putains de problèmes.

La femme s'accroupit face à lui, genoux écartés, et le fixa. Les mains de l'homme serraient son crâne comme une relique qu'il n'aurait pu lâcher.

— Laisse-moi t'expliquer deux, trois trucs, poursuivit-elle. Ici, t'es pas chez toi. Et ici, on aime pas les intrus. Les gars des niveaux supérieurs, les chiens bien payés, on en veut pas. On veut pas les voir, pas les entendre. On veut même pas les voir exister.

La Fourmi FantômeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant