Chapitre 17.1

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« Registre de données n°5S33 – Sommet de la gestion – Société :

Nous notons une dégradation des rapports communicatifs entre individus nés après 2030. Le langage s'appauvrit, les intérêts se spécifient à l'essentiel, et les affrontements explosent. Une gestion des conflits est demandée. »

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Un mal de crâne lancinant accompagna le réveil de Joan. Encore léthargique de sa soirée passée avec Sifiso, son compagnon de chambrée, il papillonna plusieurs fois des yeux et grimaça quand la lumière de sa couchette l'éblouit. Il grogna. Jamais il n'aurait dû suivre Sifiso dans son délire. Joan connaissait pourtant les conséquences de la prise d'inifeim. Son esprit se perdait trop loin, son corps s'échappait plus encore, et la redescente l'accablait toujours de maux douloureux et de troubles de la mémoire.

La nausée le saisit. Il se redressa, perdit l'équilibre sur le côté, à même le sol. Son estomac se retourna. En quelques secondes, il vomit et toussa. Sifiso, qu'il venait de réveiller, le dévisagea avec de petits yeux avant de le suivre. Leur cuvette de secours, prévue la veille, accueillit leur repas en partie digéré. Puis Sifiso éclata de rire.

— Mec, il était violent celui-là !

— Tu l'as choppé où ? grogna Joan.

— Un artisan du marché rouge qui élabore des recettes alternatives moins chères.

— M'embarque pas dans cette connerie, la prochaine fois. J'ai entraînement.

Sifiso rit, avant de déglutir et de revomir. Joan le suivit. Les mains accrochées à la cuvette, ils attendirent que les spasmes de leur abdomen se terminent pour s'adosser contre la couchette de Joan, lessivés et livides. Ils fixèrent le plafond dans un état second, avalèrent l'acidité de leur gorge et laissèrent les tremblements de leur corps se taire avec l'impression étrange d'être plus léger. Les effets secondaires de l'inifeim modifié. Le vendeur avait prévenu que ses effets étaient aussi violents que salvateurs. Sans le poids du monde, de leur vie, de leurs problèmes, ils semblaient au-delà de Nwelwe et de la terre mourante sur laquelle ils marchaient.

— C'est ouf, commenta Sifiso, fasciné par le maillage régulier des grilles de ventilation au-dessus d'eux.

— La ferme, on est encore défoncés, soupira Joan, obnubilé par les variations lumineuses des néons.

Le silence. Les deux hommes redescendirent de leur nuage illicite avec une longueur qu'ils avaient rarement connue, sans douleur, sans contrecoup visible, une simple impression de flottement autour de leurs épaules raides. Un instant, ils eurent l'impression de ne faire qu'un avec le cadre de la couchette et le sol métallique sous leurs hanches, puis ils parvinrent peu à peu à détacher leur corps du reste et retrouver la lucidité de leur esprit. La drogue s'effaçait au fil des heures, et les abandonnait au contrôle de leur propre vie.

— On va devoir y retourner, pas vrai ? murmura Sifiso, soudain moins jovial.

— On n'a pas le choix.

L'homme hocha la tête. Son moniteur d'armement allait sûrement le sermonner lorsqu'il se présenterait, mais sa perspective ne l'agaçait pas. Il demeurait encore trop détendu pour s'en soucier.

— J'vais garder l'adresse de ce type, annonça-t-il.

— C'est pas une bonne idée, Sif. On a un job à faire.

La Fourmi FantômeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant