Chapitre 18

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« Traitement des données troposphériques – 2098 :

Dioxyde de carbone : 2041ppm. Méthane : 9321 ppb. Protoxyded'azote : 1224ppb. Ozone : 513 ppm. Température : 10,7°C. Viabilité : 4%. »

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La vague d'un puissant orgasme déferla en elle. Naledi expira un souffle contenu, les yeux fermés, serra les cuisses et s'abandonna sur le matelas de son lit circulaire. Le souffle court, elle baissa les yeux sur la masse mouvante sous ses draps. La tête de Ruth, son assistante, émergea quelques secondes plus tard, un sourire en coin.

— Ça va mieux ? s'enquit-elle.

— Ça ira pour les prochaines heures.

Bien qu'elle soit âgée de vingt ans de moins, Ruth possédait une expérience et une maturité dans le sexe que Naledi lui appréciait. Ses doigts se déplaçaient avec une dextérité soignée, ses lèvres échauffaient les siennes avec une tendresse mêlée d'agressivité sensuelle, et chacun de ses jeux de jambes réveillaient un peu plus son désir de la faire sienne. Mais Ruth avait surtout dans ses cartes un talent dont peu des partenaires de Naledi pouvaient se vanter : des mains expertes dans le dénouement de muscles organiques.

Sa chemise encore ouverte, son aine dénudée, Ruth s'assit à l'autre bout du lit et glissa ses pouces sur les plantes de pied de la chercheuse. L'endorphine se libéra davantage dans ses chairs, ses jambes lourdes frétillèrent et son abdomen se desserra. L'anxiété disparaissaient sous les bienfaits de sa séance de détente quotidienne, loin des parasites de Neo-Bloemfonteim, loin des rapports de recherche misérables, loin de tout ce merdier sans nom qu'elle traînait depuis des jours sans qu'aucun subalterne de l'aile de sécurité ou des chasseurs de prime ne puisse le résoudre.

Ses priorités revinrent cependant bien vite sur le tapis. L'agacement réveillé, Naledi attrapa sa vapoteuse sur le rebord du lit et inhala de grandes bouffées d'oemfeim de premier cru. Son esprit s'apaisa, ses sens se brouillèrent, et le calme léthargique dans lequel elle replongea la soulagea un peu plus longtemps. Après deux inspirations, son corps semblait léger. Après six, ses pensées se perdaient dans un chaos confortable, bien au-delà de la réalité. Elle s'immisça dans ses pensées les plus euphoriques, tomba dans une explosion de couleurs et de sensations exaltantes, avant de retomber, peu à peu, sur Terre. Ruth, occupée à masser ses pieds, l'observa fixer le vide et contrôler le mince sourire qui étirait ses lèvres. Rares étaient les moments où sa supérieure parvenait à dessiner autre chose qu'une mine autoritaire.

Un message du Sommet de la Gestion, avertit Bea autour d'elles.

— Report, répondit Ruth.

L'assistante termina d'assouplir les muscles tendus des voûtes plantaires de sa supérieure avant de remonter vers ses jambes. Les yeux perdus sur les grandes baies vitrées, elle contemplait la grande place nappée d'un voile orangé doucereux. Un coucher de soleil, songea la femme, depuis combien de mois n'en ai-je pas vu un ? Elle contempla les lignes élégantes des buildings de l'autre côté, le mouvement continu des navettes entre les différents étages et les différentes tours, les quelques silhouettes courageuses qui traversaient les dalles bétonnées à pieds, à l'ombre d'orangers. Une courte pause avant de reprendre le cours effréné de leurs vies de Penseurs.

— Tu le regardes encore, commenta Naledi, l'esprit encore embrumé.

— Jadis, nos ancêtres pouvaient s'asseoir chaque soir dans l'herbe pour l'admirer.

La Fourmi FantômeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant