Chapitre 3.2

38 6 0
                                    


Les yeux rivés sur le bas de la porte d'entrée, Kian déglutit, se redressa, longea les lignes épurées prisonnières entre les entrelacs colorés et quitta le bureau, les membres cotonneux. En bas, il se contenta de traversa le réfectoire sans un mot, sous le regard des prisonniers venus se restaurer, d'ouvrir sa cellule de repos et de s'y enfermer.

— F2k51, F2k63, F2k65, F2k71... murmura-t-il.

Il aligna sa boîte de composants, ses soudeurs, ses boîtiers de communication. Alerté par ses mots étouffés, Tempo se pencha au-dessus du garde-corps de sa couchette, les yeux mi-clos, puis passa par-dessus pour le rejoindre, sans un mot.

— F2k103, F2k109...

— Prothèse de valve cardiaque.

Un court silence. Kian pencha la tête, rassembla ses affaires d'un geste tremblant et les rangea dans son sac à dos. Tempo fronça les sourcils, soudain plus inquiet.

— Qu'est-ce qu'il se passe, Kian ?

— M-17, laboratoire M-0, ordre du niveau 1, se contenta-t-il d'exposer.

Tempo déglutit. Alors que son meilleur ami se tournait en direction de la sortie, il sauta à l'autre bout de leur cellule de repos, attrapa la statuette mortuaire de Marh et lui colla entre les mains. Les yeux rivés sur le flamant rose, Kian se figea, soudain plus lourd.

— Je veille sur eux, promit Tempo, alors veille sur lui. On reste en contact, bro.

Il s'écroula sur sa chaise. Kian, lui, rangea la statuette dans sa poche, sortit de sa cellule et se dirigea vers le réfectoire. À l'entrée, Uenalya l'attendait, dos au mur, les bras croisés sur sa poitrine dont le cœur avait été remplacé par une machine au bruit étouffé.

— Ils t'embarquent ? questionna-t-elle.

— Oui.

— Tu reviendras ?

— Non.

Il le savait. Dès que ses tests confirmeraient ses capacités à travailler à la surface, la prison le réquisitionnerait, peut-être le garderait, sinon le muterait dans un autre service où l'on attendrait de lui qu'il aide, et permette au dôme de mieux se tenir.

— Donne-moi de tes nouvelles, de temps en temps, pria la trieuse en s'éloignant. J'ai envie de savoir ce qu'il se passe là-haut.

— Ok.

Kian fit machine arrière et retrouva le quai exactement dix secondes avant le temps imparti. Encadré de deux soldats plus grands que lui, il fixa l'horloge holographique d'un œil fixe.

Cv2k47, Cv2k51, Cv2k59... suivit-il les conseils de son ami pour calmer le chaos dans son esprit.

Passage du chargement M-0 dans dix secondes, veuillez vous écarter de la voie, avertit Bea.

— Vous êtes arrivé à temps, remarqua la Penseuse à ses côtés.

Kian regarda le décompte. Le transporteur arriva, puis s'arrêta. Capsule de métal capable d'accueillir jusqu'à dix passagers, il s'articulait en un unique volume entouré d'une coque suffisamment solide et performante pour résister aux grandes vitesses et aux convecteurs magnétiques qui le propulsaient. Nonhlanhla pénétra dans l'habitacle et s'assit sur un fauteuil usé couvert de rayures et de déchirures. Kian la suivit de peu. Il baissa sa tête encapuchonnée lorsque la lumière vive des néons l'éblouit et se nicha au coin de l'habitacle, muet. Les soldats fermèrent l'entrée derrière lui, et la seconde d'après, le transporteur décollait à toute vitesse.

Ses doigts malmenant ses manches à intervalles réguliers, le nettoyeur écouta les bruits étouffés de leur navette d'appoint, nerveux. Nohlanhla parlait, certains soldats aussi, mais le métal demeurait le plus bavard d'entre eux. La vitesse le faisait trembler aussi fort qu'une vieille structure sur le point de faillir, ses grincements rappelaient les canalisations anciennes qui traversaient le bloc M-17, et chacun de ses sursauts surprenait l'homme qui se sentait obligé de s'enfonçait un peu plus dans son coin. Kian cogna ses poings l'un contre l'autre, chassa ses pensées parasites, les questions qui bouillonnaient dans son crâne, et n'écouta que le choc de ses os les uns contre les autres, leur vibration sourde dans son corps comme les basses rythmées et régulières d'un morceau électronique infini.

La Fourmi FantômeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant