Chapitre 16.1

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« Rapport d'analyse réseau n°2k17-41 :
Menaces : 0. Failles : 0.
Optimisations possibles : 2.
Programmes défectueux : 1.
Fichiers résiduels : 23.
Fichiersisolés : 11.
Prochaine mise à jour : 30 jours. »

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Errol avait passé plusieurs heures à élaborer une nouvelle stratégie, et ce malgré la fatigue de ses crises de nerfs répétées. Emily le surveillait de près, mais cela ne suffisait pas. Comme mu par une énergie nouvelle, une énergie profonde et terriblement noire, son mari s'était acharné à croiser l'ensemble des données recueillies par Kian avec Mason et Moses pour établir un nouveau panorama de leurs armes. Et lorsqu'ils tombèrent d'accord sur les directives à venir, ils réunirent l'ensemble des rebelles dans la grande salle.

Sous la coupole métallique qui les enveloppait, une centaine de recrues s'était approchée de la table de projection et observaient d'un œil intrigué leurs dirigeants agités. Errol répétait ses instructions à Mason, Moses négociait les prochaines sorties de ressources avec Alan tandis que les tireurs et les soldats s'agglutinaient en une barrière hermétique et mouvante. Lorsque tous furent présents, Errol grimpa sur la table d'un bond sonore, balaya l'assemblée du regard, leva sa main armée d'un pistolet en l'air et patienta. Avant qu'il n'ait à tirer, la foule se tut et se figea. Il accorda un regard entendu à Mason avant de ranger son arme et d'activer l'holoprojection. Moses éteignit une partie des néons pour clarifier les écrans qui se matérialisaient au-dessus d'eux. Des milliers de données recueillies, pour la plupart illégales, mais toute d'une rare violence se dessinèrent : des rapports écrits et signés de la Gestion, des graphiques d'anticipation, des captures vidéo de meurtres et d'assassinat à grande échelle, la collection de Nwelwe comptait assez pour briser les illusions de la plupart des survivants du niveau 0. Un coup de massue, mais nécessaire pour avancer.

— Vous le savez, commença-t-il à entonner, notre dernier mouvement n'aura pas été une véritable victoire. Beaucoup des nôtres sont morts, beaucoup trop, et j'en garderai la culpabilité longtemps. Tous ces gens qui m'ont accordé leur confiance et qui sont morts piégés et trahis par nous-mêmes resteront à jamais en moi.

Un silence glacial s'abattit sur la salle. Assis sur une caisse de matériel, Joan baissa les yeux sur ses mains tremblantes, le souvenir de tous les blessés hantant son esprit déjà abîmé. Thembi, Sifiso, Karen, la dernière attaque lui avait pris beaucoup d'amis, et plus encore de connaissances qu'il pensait intouchables.

— Vous savez comment je me sens ? poursuivit Errol, un tremblement d'émotion dans la voix. Comme un intrus. J'ai mené ces gens vers la mort, mais moi, je suis en vie. Je me traîne comme un amas de chair et de métal en espérant que ma colère résoudra tout, mais, magie, ça ne fait rien. Leur mort est réelle, ma survie aussi, et la raison de notre séparation plus encore. Alors qu'on se bat depuis des années pour ne serait-ce qu'espérer pouvoir encore manger et respirer, nos « Penseurs » continuent de nous exploiter comme si de rien n'était. Les morts, aucune ne les gêne. Les sacrifices, ils n'en ont rien à battre. Tout ce qui leur importe, c'est leur avenir, celui que nos sommets nous font miroiter depuis des décennies comme notre salut inespéré.

Il saisit son microordinateur de commandement, le serra dans son poing et leva la tête vers les centaines de données collectées, le cœur lourd.

— J'ai commencé à me battre un jour parce que je le supportais plus. Je voulais leur rappeler la mort qu'il donnait, soi-disant pour la survie de l'Humanité, je voulais leur rendre la pareille. J'ai voulu les condamner pour ceux qu'ils ont tués, et comme beaucoup d'entre nous, j'ai eu envie de me venger. Je veux toujours me venger, c'est vrai, je veux toujours hurler ma colère et les tuer, mais je me suis rendu compte que me battre pour les morts ne servait à rien. Ils n'en auront jamais rien à faire. Ces gens-là se foutent du nombre de corps dans leurs composteurs, et ils se foutent encore plus de classer leur fiche identité comme obsolète, ils ont juste besoin d'ouvriers pour construire ce qui les sauvera eux.

La Fourmi FantômeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant