Chapitre 24.1

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« Note :
Je vois pas pourquoi je continuerais de vivre, maintenant. Conquête n'existera pas. At-Mo est un fantasme. Y a pas d'avenir pour nous, juste la mort. »

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— Un par un s'il vous plaît ! demanda Melo, paniquée de voir autant d'individus au même endroit.

Pour seule réponse, un crachat explosa contre son visage. Elle se figea, grimaçante, avant de s'essuyer dans un grognement. La femme qui venait de l'humilier entrait déjà dans le wagon, prête à embarquer pour Neo-Kinshasa en attendant de pouvoir trouver un foyer et une idéologie de vie.

Depuis des heures maintenant, des vagues de contestataires capitalistes circulaient dans les souterrains de Neo-Bloemfontein en vue de gagner les cités capitalistes plus au nord. Nwelwe avait posé un ultimatum, auquel chacun était libre de répondre : investir son énergie à venir dans At-Mo avec les clans utopistes volontaires ou retourner dans les capitales obnubilées par « Conquête », seul véritable moyen connu pour la survie de l'Humanité. Nombre d'Exécuteurs désabusés avaient fait le choix de rester dans les couloirs de Neo-Bloemfontein, enfin prêts à mettre leur vie au service d'un avenir réel, mais certains ne parvenaient à envisager leur avenir sans l'hypothèse d'une conquête spatiale.

Melo peinait à comprendre ce raisonnement, mais la principale différence entre les clans utopistes et les dômes résidait ici. Les survivants de la surface avaient été canalisés et formatés pour répondre au besoin urgent de quitter la Terre là où les peuples souterrains avaient toujours œuvré pour diminuer leurs dégâts sur leur habitat et s'offrir une possibilité de sortie pour le futur. Fuir ou rester, Conquête ou At-Mo, un choix libre qui avait été donné et assumé par quiconque les avait envisagés.

Shannon beugla à travers la foule pour orienter les transporteurs d'urgence dont les remorques avaient été emplies de cadavres. Le nombre de Penseurs en vie retrouvés dans les cellules de sécurité saturait le réseau menant au composteur.

— Attendez le départ de NKNB-8 ! Et lancez quatre acheminements !

Melo se sentit pâlir. La silhouette des transporteurs se dessina dans l'ombre, à peine plus lumineux qu'une luciole en fin de vie. Elle avait rarement vu autant de corps entassés au même endroit.

Shannon la rejoignit, renfrognée, et surveilla le chargement des transporteurs en direction de Neo-Kinshasa. Un casque anti-bruit sur les oreilles pour se protéger du bruit environnant, elle vérifia la place de chacun et le nombre d'individu dans chacun des wagons avant d'interrompre le flux et de lancer les départs. Le sifflement aigu des navettes résonna dans le souterrain, la lumière ourla les contours sphériques des compartiments. Puis ils disparurent en quelques secondes, poussés à plusieurs dizaines de kilomètres par heure dans les tunnels qui reliaient les cités survivantes d'Afrique.

— Y en a encore combien ? s'informa la femme en retirant son casque.

— Beaucoup trop, avoua Melo. Les gars d'en haut ont retrouvé la moitié des gens du niveau 2 morts, mais presque toute la seconde moitié veut partir. Regarde là-bas.

Plusieurs dizaines d'individus patientaient, la plupart issues de la strate pensante de Neo-Bloemfontein. La vague importante de suicides qui avait secoué les deux niveaux supérieurs avaient convaincu les survivants de s'en aller avant de regretter. Moses, qui tenait les comptes des individus volontaires pour suivre le projet At-Mo, comptait seulement quelques centaines de Penseurs du niveau 1 et une poignée de Penseurs du niveau 2 parmi ceux qui désiraient rester. Le reste qui n'avait pas cédé au désespoir acheminait lentement jusqu'ici, vides, mais déterminés à donner vie aux « Conquête » des villes restantes. Aucun n'espérait mourir condamné ici.

La Fourmi FantômeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant