Chapitre 8.2

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Attentif à la forme de ses mains, l'Hyperspécialiste finit par simplement garder ses poings joints et observer les tentatives hasardeuses de son compagnon à reproduire ce qu'il faisait. Lorsqu'il s'en rendit compte, Joan arrêta et masqua sa peau. Cette fois, Kian le remarqua.

— Pourquoi tu les caches ? demanda-t-il.

Joan s'apprêtait à répondre qu'elles n'étaient pas des plus agréables à regarder, mais s'en abstint. Il essuierait une objection. Mal à l'aise, il les découvrit et les laissa tomber entre ses jambes croisées.

— Tu ne les cachais pas ? s'inquiéta Kian.

— Si.

— Pourquoi ?

Joan laissa tomber sa tête en arrière et soupira.

— J'aime pas vraiment qu'on les voit.

— Pourquoi ?

— Il n'y a que toi pour les trouver « belles ». La plupart des gens les considèrent comme un bricolage mal terminé.

— Et ce n'est pas beau ?

Joan baissa les yeux vers Kian qui, les yeux rivés sur ses doigts, imaginait la façon dont le chirurgien qui s'était occupé de lui avait pris soin de réparer chaque partie de ses membres, et sûrement son corps. La dextérité qu'il fallait pour relier deux tissus sans les déchirer le fascinait, et savoir qu'une personne avait d'abord dû se sentir sur le point de mourir avant d'être complètement reconstituée plus encore. Joan représentait pour lui l'exemple même d'une pièce capable de parler de la vie dans sa globalité : intangible, parfois imprévisible, souvent maîtrisable, la plupart du temps basée sur des données invisibles que l'on ne prenait pas le temps de correctement lire. Un puzzle entier de pièces et d'informations qu'il fallait décortiquer pour mieux appréhender.

— Tu penses que... c'est beau ? osa Joan après un long silence.

— Oui.

— Vraiment ?

— Oui.

L'ancien militaire passa un pouce sur sa main, mal à l'aise. Il avait plus l'habitude de remarques lubriques que de vrais compliments.

— Juste pour être sûr, ça ne t'excite pas parce que c'est presque mort, pas vrai ? s'assura le militaire, l'estomac noué.

Kian dévia le regard. Mal à l'aise, il recula dans son coin et ramena ses jambes vers lui. Son corps lui plaisait, peut-être pouvait-il l'exciter, mais pas la mort.

— Désolé, s'excusa aussitôt Joan. La plupart des mecs et des nanas qui me disent ça veulent juste coucher avec un gars rapiécé. J'aime pas ça.

L'Hyperspécialiste observa le geste nerveux de ses mains sans un mot. Réduire Joan à un corps recousu le dérangeait. C'était comme le condamner à un assemblage sans âme ni finesse, or Joan n'appartenait pas à cette espèce. Il appartenait au corps organique qui se battait pour survivre, aux assemblages artistiques de la partie originelle à la partie durable de son corps. Ses membres puissants étaient rééquilibrés, souples, sa peau contait l'histoire de son combat et de ses souffrances, sa chair traversait le métal pour se reconnecter à ce qu'elle avait toujours possédé. Il représentait un équilibre presque parfait entre le passé et le futur, entre la violence et l'abandon, la chaleur brûlante du feu et le froid mordant du métal.

Son entrejambe devint inconfortable. Kian serra les cuisses et fixa le mur. « Excité par la mort ». Ce n'était pas la mort à laquelle il réagissait, mais lui. Mais il n'aimait pas ça. Il porta ses mains à sa nuque, l'esprit embrouillé. Ses ongles commencèrent à attaquer sa peau cicatrisée sous le regard coupable de Joan. D'un bond, il quitta sa couchette et se glissa prudemment vers Kian qui se tassa un peu plus.

La Fourmi FantômeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant