Chapitre 17.2

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Isolé dans une salle privée du club Wilde Wals, recroquevillé à l'angle d'une banquette, Kian se balançait mécaniquement en comptant chaque minute qui défilaient, et la durée de chacune des mélodies qui résonnaient de l'autre côté de la paroi. Les vitres teintées le protégeaient des regards indiscrets de l'extérieur, et tamisée la vue des lumières et des corps mouvants depuis l'intérieur. La trame régulière des poteaux métalliques occultait une partie des informations parasites du club sans vraiment l'en extraire, mais Louisa aimait cet endroit. Lors de ses rondes, elle s'y arrêtait le temps d'une nuit, ou d'une soirée seulement.

Elle pénétra dans l'alcôve après la vingt-deuxième mélodie, minute deux seconde quarante-sept. Kian se figea. Comme à son habitude, Louisa quitta son châle coloré pour le poser sur la banquette, lissa sa robe fleurie aux nuances électriques, s'installa sur l'assise, les jambes croisées, s'accouda à son dossier et dévisagea son ami. Les yeux de l'homme n'avaient même pas été chercher ses gestes. Il se contentait d'écouter, derrière la barrière de son casque antibruit, les yeux cernés, le teint livide, et les mains trop agitées pour qu'il soit tranquille.

— T'as merdé, constata-t-elle, inquiète.

Kian pencha la tête sur le côté et s'enfonça dans sa banquette, coupable. Louisa sortit sa tablette de la poche de sa veste, activa la projection holographique et attendit. Après quelques secondes, son programme se connecta à l'IA de son prototype que son ami venait d'ouvrir et l'informa des dernières données enregistrées. Louisa fronça les sourcils et soupira.

— Il s'est passé quelque chose, devina la médecin. Si tu m'as convoqué, c'est que t'avais besoin de moi. Parle-moi, Kian. Dis-moi ce qui t'inquiète. T'avais pas juste besoin de recharges et d'aide à la planification.

La femme plongea une main dans son sac et sortit une boîte de fioles d'oemfeim et d'opinaprafémine qu'elle avait été récupérer à l'adresse indiquée – une des vieilles connaissances de l'homme faisait partie des pionniers du marché rouge. Kian dévia son regard sur elles, muet, fixe.

— Nwelwe, murmura-t-il finalement.

Louisa voulut lui demander d'expliciter, mais l'état de son ami se rappela à elle. Le regard rivé sur les messages d'alerte de l'IA, elle réfléchit en silence, passant d'une fenêtre holographique à une autre, d'un graphique aux messages textuels. Elle se souvint finalement de la prison du dôme 3, de son travail, de Naledi, des attaques répétées relayées par son réseau de surveillance à travers Neo-Bloemfonteim. Plusieurs travailleurs de la prison avaient disparu, certains morts, d'autres enfuis ou emprisonnés. Elle fixa les traits fatigués de son ami, ses mains écorchées qu'il continuait d'abîmer, et serra les dents. Il ne parvenait pas à sortir de sa crise.

Elle récupéra sa trousse de premier secours et l'ouvrit sur la table. Si elle pouvait au moins lui épargner une infection bénigne, elle devait agir maintenant.

— Où sont tes balles neurostimulantes ? s'enquit-elle.

— Nwelwe.

Louisa fouilla dans ses poches à la recherche de sa propre balle. Elle avait développé un intérêt pour elle lorsqu'elle avait commencé à travailler avec l'homme. La pression irrégulière de l'objet sur ses paumes l'aidait à réfléchir. Elle l'attrapa et la tendit à son ami. Ses mains cessèrent d'écorcher ses poignets ensanglantés pour presser la surface molle et pitonnée de l'objet.

— Je peux nettoyer tes plaies ? demanda-t-elle. Tu dois désinfecter avant de chopper une bactérie.

— Oui.

— Enlève ta veste et ton sous-pull.

Kian posa la balle, leva ses membres raides, ôta sa veste et se débattit avec son sous-pull. Louisa patienta sans un mot, mais lorsqu'elle le vit s'énerver, elle se leva et l'aida à retirer le vêtement. À la vue de sa nuque ensanglantée, et des marques écarlates qui la barraient, elle déglutit. Sa crise avait été assez sévère pour saccager jusqu'à la base de ses épaules

La Fourmi FantômeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant