Chapitre 19.2

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Joan massait sa cicatrice aux côtés d'Alan lorsqu'il aperçut la silhouette malingre de Kian traverser la salle commune en direction du distributeur de repas liquide. Il regarda l'heure : trois heures et cinq minutes du matin. Depuis qu'il lui avait volé sa jambe, il avait l'impression de le croiser chaque fois qu'il se déplaçait, mais il s'agissait plus d'une réalité. Sans membres inférieurs efficaces, Joan ne pouvait pas partir en reconnaissance comme à son habitude. Il se contentait d'entraîner les recrues en fin de journée et de casser l'ennui la nuit en attendant que Kai trouve pour lui un prototype capable de tenir.

Le seul avantage de sa convalescence forcée restait l'amenuisement de la douleur. Avec les chirurgies forcées d'Alan et ses traitements médicamenteux, le trou de sa hanche avait retrouvé, au fil des jours, une bien meilleure santé. Et si l'infirmier s'en réjouissait, son patient peinait à le reconnaître.

Alan glissa un coup d'œil vers son ami dont le regard noir ne quittait pas l'Hyperspécialiste. Chaque fois que Joan l'apercevait dans son champ de vision, une ombre glaciale l'entourait.

— Tu vas devoir investir dans les tissus artificiels de front si tu continues à froncer les sourcils comme ça, remarqua l'infirmier en massant sa jambe douloureuse.

Depuis sa récente infiltration, l'état de son mollet et de son genou de s'était pas amélioré. Il ne devrait lui-même pas tarder à investir dans un système de distribution sanguine, ou un mollet complet, sa paralysie musculaire commençait à endommager ses tendons.

— Je suis presque sûr que c'est plus accessible qu'une putain de jambe bien calibrée, cracha l'ancien militaire.

— Vois les choses du bon côté : on a pu enfin soigner l'infection de ta hanche.

Alan baissa les yeux sur le renfoncement de la hanche vide de l'homme. Sous le t-shirt de Joan, de rares pansements persistaient sur les blessures les plus graves. Ils arrivaient au bout de leurs soins, mais le chemin pour y parvenir s'était accompagné de résistances mal venues du patient et quelques surprises bactériologiques dont l'infirmier se serait passé. Si Joan l'avait écouté plus tôt, peut-être n'aurait-il pas vidé ses réserves de sang sain pour ses chirurgies.

Désormais libéré de la plupart de ses infections, Joan devait se remettre de la fatigue et du manque d'oemfeim dans son coin, au plus grand plaisir de l'infirmier. Il fallait dire que maintenant qu'Alan le tenait entre ses mains, son pouvoir de dissuasion n'en demeurait que plus efficace. Gestion des acheminements de drogue, des transactions avec les prothésistes du marché noir, des relations avec les pilleurs de matériel médical, son seul futur reposait sur sa bonne volonté et son jugement.

— Arrête de le regarder, soupira-t-il en balançant sa tête en arrière pour détendre les muscles de son cou.

— Il capte rien, de toute façon.

— C'est pas en le fixant que tu vas miraculeusement récupérer ta jambe. Elle est foutue, elle est foutue. Passe à autre chose.

Joan serra la mâchoire et avala une gorgée de son repas. À quelques mètres de lui, face au distributeur, Kian se battait avec les boutons pour remplir son gobelet. Face au silence entre eux, Alan releva la tête. Les deux hommes observèrent l'Hyperspécialiste sans un mot, tandis que ce dernier fixait l'appareil, les épaules raidies.

— Il me fout en rogne, grogna Joan.

— Et moi, il me fascine, commenta son ami. Il peut te sortir un modèle de prothèse et son origine juste en lisant son numéro de série, mais pas appuyer sur la bonne combinaison de boutons pour se faire à bouffer.

— Il va pas le faire.

— Nan, j'ai pas l'impression.

Joan poussa brusquement son tabouret, attrapa ses béquilles et bondit sur le distributeur. Kian recula en le voyant à proximité et passa ses bras autour de sa tête par automatisme, le cœur battant à tout rompre. Il s'était préparé à recevoir un coup, une menace, mais l'homme posa brutalement son gobelet au centre du distributeur, entra le volume, le type de poudre et lança le mixage sans un mot. Quelques secondes après, le récipient était rempli. Il le plaqua sur la table.

La Fourmi FantômeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant