La Fourmi Fantôme

Chapitre 21.1

« Rapport d'observation n°33S1 – Sommet dela Gestion – Aile de la sécurité :

Cibles techniques priorisées aléatoirement disposées dans les 3 dômes. Protection des piliers de défense et des zones d'armement à privilégier. Accès aux recycleries et à l'eau à défendre. Risque d'intrusion de Nwelwe estimé à 82% dans les cinq prochains jours. »

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Les mains à plat sur la table, Errol observait l'assemblée qui s'était réunie dans la salle de discussion. Pour la première fois depuis plusieurs mois, tous les responsables de branches s'y trouvaient au même moment, pour la même raison. Errol, membre fondateur et décisionnaire, Emily, responsable de l'armement, Mason, responsable militaire, Joan, informateur et médiateur, Moses, gestionnaire des ressources, et Thembi, Experte des raids aériens se faisaient face dans un silence pesant. Le rapport de Joan avait été décisif, et le temps leur était désormais compté. Mason avait eu suffisamment de jours pour explorer ses hypothèses, Errol aussi, et le groupe tout entier avait pu réfléchir à la suite de leur chemin commun. Avec la menace appuyée de l'armée, mais aussi des réseaux alliés qui se retournaient contre eux, Nwelwe devait prendre une décision : celle d'assumer le danger que représentait Kian en le gardant près d'elle, ou celle de s'en débarrasser au risque que leurs plans soient compromis. Nwelwe n'avait plus le luxe d'hésiter.

Assis sur un siège inconfortable, les jambes ramenées contre lui, Kian tapotait ses poings entre eux, attentif aux murmures qui auraient pu se glisser entre les membres présents. Seul étranger au milieu d'un groupe soudé qu'il connaissait mal, la poitrine écrasée, il patientait. Il n'avait jamais apprécié les réunions de groupe, et encore moins lorsqu'il demeurait face aux autres. Il avait beau passer en revue ses journées, retracer ses actions, ses erreurs, il ne parvenait pas à trouver où il avait fauté. Mais peu importaient ses erreurs, car la raison de sa présence se trouvait à des années lumières de ses craintes. Sa convocation ne résultait que de deux choses : son existence, et ses choix passés.

Errol dévisagea son frère, troublé par l'anxiété qu'il lisait. Il y avait encore quelques jours, il avait eu l'impression d'avoir affaire à un inconnu, de jouer avec une composante factice qui ressemblait à Kian sans vraiment l'imiter. Aujourd'hui, il reconnaissait de plus en plus ces détails qu'il avait oubliés, de la façon dont son regard cherchait les choses à la nervosité maladives qui agitait ses mains. Il soupira et baissa les yeux, fatigué. Il aurait préféré qu'ils ne se rencontrent plus jamais, tout aurait été beaucoup plus simple.

— J'vais pas y aller par quatre chemins, déclara-t-il. On doit choisir de le garder ou de le virer. La situation nous permet plus de fermer les yeux.

— Il dégage, commenta Moses, ses bras mécaniques croisés sur son torse rapiécé.

— Il reste, s'opposa Thembi d'une voix calme.

— J'en veux pas non plus, indiqua Emily, c'est un vortex à emmerdes.

— Pareil, ajouta Errol en dévisageant les deux anciens militaires.

Joan et Mason échangèrent un regard avant de soupirer. Si le plus jeune demeurait désormais hésitant sur son avis, le plus âgé avait pris sa décision depuis la première réunion qu'ils avaient eue ici même, des jours plus tôt. Et la réticence de ses compagnons commençait sérieusement à l'agacer. Devoir reprendre des arguments, retrouver un discours capable de convaincre, il avait l'impression de passer ses journées à remettre des âmes égarées sur le bon chemin, à éclairer leur lucidité aveuglée. Et maintenant qu'il en connaissait davantage sur Kian, il ne lâcherait pas.