Timothy Keller
-Je n'emploierai pas le titre le plus souvent donné à cette histoire : « Parabole du fils prodigue. » Il n'est pas juste de concentre toute notre attention sur un seul fils. Du reste, Jésus n'a pas intitulé son récit : « Parabole du fils prodigue », mais il a commencé par ces mots : « un homme avait deux fils. » Le récit a pour thèmes l'aîné et son cadet, et le père autant que ses fils. De plus, ce que Jésus dit au sujet du fils aîné constitue l'un des messages les plus importants de la Bible. Il serait donc plus juste de parler des « deux fils perdus ». Le terme « prodigue » ne signifie pas « rebelle » mais, d'après le dictionnaire Hachette, « qui fait des dépenses disproportionnées ». Une personne prodigue dilapide jusqu'au dernier sou. Le terme décrit donc aussi bien le père de l'histoire que son fils cadet. L'accueil réservé par le père à son fils repentant est « disproportionné », car il refuse de tenir compte du tort causé ou d'exiger un remboursement.
-Paul écrit : « Dieu était en Christ : il réconciliait le monde avec lui-même en ne chargeant pas les hommes de leurs fautes ». Jésus nous dépeint un Dieu extrêmement généreux et prodigue envers nous, ses enfants.
-Prodiguer (adjectif) qui dépense sans compter, qui a tout dépensé.
-La plupart des commentateurs de cette parabole se sont concentrés sur le départ et le retour du plus jeune fils, le « fils prodigue », et passent à côté du véritable message de l'histoire. En effet, il y a deux frères, et chacun d'eux représente une manière différente d'être éloigné de Dieu et de chercher à être reçu dans le royaume des cieux. Il est important de noter le cadre historique de l'enseignement de Jésus fourni par l'auteur. Dans les deux premiers versets du chapitre, Luc rapporte que deux groupes de personnes bien distincts viennent écouter le Seigneur Tout d'abord, « les collecteurs d'impôts et les pécheurs ». Ces hommes et ces femmes correspondent au fils cadet. Ils n'observent ni les lois morales de la Bible ni les règles de pureté rituelle adoptées par les Juifs religieux. Ils vivent « n'importe comment ». Comme le plus jeune fils, ils ont « quitté la maison » en tournant le dos à la morale traditionnelle de leur famille et de la respectable société. Le deuxième groupe d'auditeurs est composé des « pharisiens et des spécialistes de la loi », représentés par le fils aîné. Ils suivent scrupuleusement la morale traditionnelle qu'on leur a inculquée dans leur jeunesse, étudient les Écritures et y obéissent. Ils adorent fidèlement le Seigneur et prient assidûment. Luc nous montre de façon très concise la réaction différente de chaque groupe face à Jésus. La valeur progressive du temps du verbe grec traduit par « s'approchaient » montre que Jésus attirait sans cesse des frères cadets vers lui. Ils s'agglutinaient continuellement autour de lui. Ce phénomène intriguait et irritait les gens religieux bien-pensants.
-À qui l'enseignement de la parabole de Jésus est-il destiné ? Au second groupe, celui des scribes et des pharisiens. Jésus a commencé à raconter cette histoire à cause de leur attitude. La parabole des deux fils attire particulièrement l'attention sur l'âme du fils aîné : il faut absolument que son cœur change ! Au fil des siècles, chaque fois que ce texte a été commenté dans les églises ou les cours d'éducation religieuse, on a insisté presque exclusivement sur la manière dont le père accueille son jeune fils repentant : à bras ouverts. En entendant ce récit pour la première fois, j'ai imaginé les yeux embués des auditeurs de Jésus, lorsqu'ils ont appris que celui-ci les aimerait et les accueillerait toujours, quoi qu'ils aient fait. Mais réagir ainsi, c'est faire du sentiment. Cette histoire n'est pas destinée avant tout aux « pécheurs rebelles », mais aux gens religieux qui font tout ce que la Bible demande. Jésus plaide moins pour les personnes immorales du dehors que pour les gens moraux du dedans. Il veut montrer à ces derniers leur aveuglement, leur étroitesse d'esprit et leur propre justice, ainsi que la façon dont tout cela détruit leur âme et la vue de ceux qui les entourent. Il est donc erroné de penser que Jésus raconte cette histoire avant tout pour persuader les jeunes frères de son amour inconditionnel. Non, les premiers auditeurs de ce récit n'ont pas été émus jusqu'aux larmes, mais plutôt ébahis, vexés et exaspérés. Jésus cherchait moins à réchauffer nos cœurs qu'à dévoiler nos préjugés.