Chapitre 2 : Dans l'ombre de Tomb Raider

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Le musée était bordé par une grande avenue, le long de laquelle s'étalaient des boutiques souvenirs. Elo les connaissait par cœur : les casquettes brodées au nom de la capitale, les porte-clés Tour Eiffel et même les sweats floqués « Paris University », alors qu'il y avait tellement de facs différentes à Paris qu'Elo était bien incapable de les dénombrer.

Cependant, un stock de produits divers attira son œil. Entre les plateaux à thé à l'effigie de la Joconde et les décapsuleurs Vénus de Milo, le vendeur avait réorganisé ses rayons pour suivre l'actualité. Sur un crochet pendaient des dizaines de colliers en faux jade. La résine verte, moulée en forme de spirale, n'avait rien à voir avec les collections de « l'un des plus grands musées au monde », mais plutôt avec l'une des archéologues les plus connues, qui venait de sortir un nouvel opus.

Elo attrapa le pendentif entre deux doigts. Un éclair de nostalgie traversa ses yeux verts.

Elo s'engouffra dans le métro, la mine fatiguée. Même la longue tonalité de la fermeture automatique des portes ou l'odeur de sueur ne suffirent pas à la sortir de sa léthargie. Ce n'est que lorsqu'elle fut bousculée par un passager dans un virage un peu plus violent qu'elle se souvint de lever la tête vers les arrêts.

Elle sortit des souterrains pour regagner la rue. Elle émergea aux pieds d'une boutique de jeux vidéo. En vitrine s'étalaient les anciennes éditions comme les nouvelles, les collectors et les packs vintage, les petites statuettes et les immenses posters de la silhouette si familière. La Pilleuse était partout.

Il fallait un certain talent pour savoir à la fois rendre fous de tristesse les historiens de tous bords, mais aussi divertir les masses, autour de l'une des franchises les plus lucratives du monde du divertissement.

Cette fois-ci, c'est avec colère qu'Elo passa son chemin.

Ses mains s'abattirent avec violence contre la porte de son immeuble. Elle monta les marches quatre à quatre, fut essoufflée au bout d'un seul étage, et finit les cinq autres cramponnée à la main courante.

La clé, furieuse, s'enfonça maladroitement dans la serrure. Les cliquetis arrachèrent un grognement à Elo. Elle déboula dans son appartement avec un seul objectif : le tiroir de son bureau. Elle le tira si violemment qu'il manqua de sortir des rails. Elo en sortit un formulaire prérempli. Celui de changement de nom.

Le nom de son oncle et celui de sa cousine lui pourrissait la vie. Pire, il minait sa carrière, l'abattait avant même qu'elle n'ait pu décoller.

Mais c'était aussi celui de sa mère...

Sur la feuille couverte de stylo bleu, « Eloïse MOIREL », d'après le nom de sa grand-mère paternelle, s'étendait en toutes lettres parmi les cases grises. Une larme tomba sur l'une d'elles. L'encre coula.

Elo froissa le papier et le jeta en travers de la pièce, puis elle se roula en boule contre le mur.

Elle ne sanglotait déjà plus qu'à moitié, lorsque les vibrations de son téléphone l'interrompirent. Elles étaient assourdies par son sac à dos, effondré comme un tas de chiffon derrière la porte, c'est-à-dire à deux pas plus loin dans ces quinze mètres carrés.

Elle le laissa sonner, incapable de bouger.

Quelques minutes plus tard, elle se décida à lever la tête en direction du sac, se souvenant de la promesse faite à sa grand-mère, la veille. Avançant à quatre pattes, elle se dit qu'elle allait sans doute se faire remonter les bretelles.

L'appel manqué venait bien d'elle. Elo écouta le message vocal :

— Coucou ma guerrière, c'est mamie ! Eh bien, je venais aux nouvelles. Pour savoir comment ça s'était passé ce matin. Bon, tu devais m'appeler mais j'imagine que ça a duré plus longtemps que prévu. Et si on se retrouvait ce midi au Café de Caylus ? Il me reste une heure d'amphi, envoie-moi un sms si c'est ok !

Mamie Angelina, enseignante-chercheuse à la Faculté des Sciences et Ingénieries, directrice du département de master informatique, continuerait à enseigner jusqu'à son dernier souffle. Elle repoussait sa retraite depuis des années. Elo aurait voulu la voir se reposer, après avoir guidé tant d'étudiants vers leur épanouissement, mais c'était aussi grâce à l'obstination de sa grand-mère qu'elle avait pu faire de longues études ; et avoir un semblant d'indépendance dans ces combles. Elle lui devait probablement tout, et plus encore. Hors de question de manquer un déjeuner.

Elo regarda autour d'elle. Des pages d'articles, des brouillons de notes, des post-its griffonnés de références à consulter et des ouvrages ouverts jonchaient toutes les surfaces, du sol au bureau, en passant par le lit. À l'intérieur des livres fermés, tout pouvait servir de marque-page : des surligneurs, des badges non rendus de divers musées, une plaquette de comprimés antidouleur et même une tasse de café.

En levant la tête, elle vit des photocopies d'alphabets mésopotamiens antiques et les frises chronologiques accrochées aux murs par des centaines de grammes – si ce n'était des kilos – de pâte adhésive. Ils étaient placés à des endroits stratégiques, comme sur la porte des toilettes, ou au-dessus des plaques de cuisson, dans des endroits où Elo était obligée de prendre le temps de les regarder. Elle pouvait ainsi réviser à tout moment.

En retour, les mots la dévisageaient sévèrement.

— Un café, négocia-t-elle. Juste un café et je reviens.


Illustration : Vénus de Milo, v. 150-125 avant notre ère, marbre, Musée du Louvre ©2011_Musée du Louvre_Thierry Ollivier

Heka TombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant