Elo rebondit contre les meubles dans un tourbillon dévastateur. La vague l'avait percutée si violemment qu'elle ne sentait plus rien, si ce n'est la lampe torche serrée entre ses doigts et les souvenirs cauchemardesques qui refusaient de se laisser noyer. Comme lorsqu'elle avait cru mourir, emportée par la rivière souterraine après la fosse d'os, son subconscient déterrait la voix familière qui grondait : « Tu aurais pu te noyer... ! ». Tout son crâne vibrait. Elo roulait sur le carrelage et le percutait à la fois.
Entre l'éveil et l'oubli, elle flottait désormais. Tête en bas. Sa jambe émergea brièvement de l'eau ; ses bras s'agitèrent, ses narines crispées résistaient à la tentation d'inspirer, tandis que la pression ramenait Elo à la surface. Sa bouche s'ouvrit sur la cascade qui dévalait son visage. Elle tanguait, emportée par le ressac et sa toux. Ses poumons appelaient à l'air.
La bibliothèque était dévastée. Les flots chahutaient les meubles et les renversaient. Une chaise avait éclaté contre un pilier. Une étagère tomba.
Elo cherchait appui sur ses quatre pattes ; ses bras piégés dans l'étau du courant tremblaient.
Sa lampe éclairait à peine et le sol n'était plus que remous gris, instable. Elle se redressa, puis heurta un pilier à son tour. Une brassée plus loin dérivait le disque diamanté d'une scie à pierre. La trace des mercenaires...
Autour d'elle, le niveau montait rapidement. Les rayonnages engloutis, étage après étage.
Le flot rageur fondait sur Elo, avant de rebondir contre le mur du fond puis d'éclater en grande gerbe au-dessus du pupitre.
La boîte !
Elo s'élança en vain, ses vêtements gorgés d'eau entravaient ses mouvements et ses pieds nus glissaient dans les courants contradictoires. Elle envoya ses bras à droite, puis à gauche et recommença à chaque pas. D'un cri caverneux, elle repoussa une assise de chaise qui flottait sur son chemin. Seul le pupitre demeurait stoïque, bien que presque submergé.
Les ondulations, désormais moins violentes, mais toujours plus hautes, atteignirent soudain la limite du plan incliné. Elo se jeta sur l'objet qu'il contenait. Elle le récupéra de justesse, puis grimpa sur le pupitre au prix d'une de ses chaussettes.
À présent, les deux pieds dans la cavité déjà remplie d'eau glacée, Elo tenait la boîte contre son cœur. Celui-ci percutait sa poitrine de manière erratique. Elle s'obligea à calmer son souffle, les yeux sur la salle.
Les remous mélangeaient les feuilles de papier dans une grande infusion de bois et de reliures de cuir, et les bouillons grimpaient aux murs, comme une armée de mains s'emparant des derniers mètres cubes d'oxygène.
Elle était prise au piège.
Les phalanges d'Elo jaunirent autour de la boîte et ses yeux, écarquillés, la projetèrent à nouveau dans la Twingo. La moquette bariolée brossant son collant pastel, alors qu'elle regardait, impuissante et abasourdie, les trombes d'eau engloutir la voiture... et les cheveux café de sa maman.
Sa respiration se hacha de plus belle.
Dans la bibliothèque, la masse sombre, mollusque cauchemardesque, avalait, tout en grossissant, la moindre lumière, tandis qu'Elo se laissait noyer par son souvenir.
Ses mains s'accrochaient à la boîte comme à une bouée. Elle ne tenait plus qu'en équilibre, debout sur le pupitre, unique moyen de concurrencer la vague qui couvrait désormais ses épaules. Soudain, ses pieds nus quittèrent le meuble, malgré ses pointes de danseuse. L'angoisse inarticulée qui s'échappa de sa gorge l'extirpa de sa paralysie.
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Heka Tombe
ActionAu cours d'une rave dans les catacombes interdites, Eloïse tente d'impressionner son nouveau béguin, quand Paris s'effondre. Elle est doctorante dans la grande École du Louvre, mais la réputation de sa cousine « pilleuse de tombes » menace ses rêve...