Chapitre 43 : Memento Mori, motif morbide

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— C'est quoi la portée de ce truc ? demanda Bruno en lui montrant le lecteur. L'écran est minuscule !

Elo haussa les épaules, elle n'avait pas vraiment eu le temps de le tester, mais les multiples points orange en mouvements ne présageaient rien de bon.

— Dix, peut-être vingt mètres, chuchota-t-elle.

— Dix ou vingt ? C'est quand même pas pareil, remarqua le militaire sur le même ton. Je veux savoir si on a de la marge ou si le comité d'accueil est déjà au bout de ce couloir.

Elle n'eut pas le temps de répondre, car il éteignit sa lampe. Dans le noir, Elo sentit la main de Bruno se refermer sur son gilet.

Figés, ils réprimaient tous deux leur souffle. À une dizaine de mètres, des paires de jambes auréolées de jaune se précipitaient vers eux, avant de disparaître dans un couloir adjacent en file indienne. Pendant les quelques secondes que dura l'apparition, l'opacité des ténèbres les tint invisibles.

Alors qu'Elo réalisait à peine à quel point ils en avaient réchappé, Bruno tapota son épaule pour la remettre en mouvement. Il ralluma la lampe de sa mitraillette et rebroussa chemin.

Après plusieurs mètres, ils changèrent de couloir, mais se retrouvèrent à nouveau bloqués par les points lumineux.

Bruno les guida à travers un passage percé dans un étroit mur en briques. Ils se terrèrent au fond de la salle, une ancienne galerie marquée « 1868 ». Elo se plaqua contre la pierre pour reprendre son souffle. Seule une porte entrouverte donnait accès vers le réseau du bunker. Bruno la garda, torche éteinte. Deux autres mercenaires passèrent en coup de vent, sans qu'ils fussent repérés. À nouveau, les ombres épaisses les avaient camouflés.

Le silence revenu, Bruno vérifia son lecteur et pesta : la petite taille de l'écran ne permettait pas d'anticiper suffisamment les mouvements de ces mercenaires qui couraient partout, encore moins quand le béton armé se faisait plus épais. Il l'éteignit de nouveau.

— Pourquoi ils sont tous là ? demanda Elo à voix basse. Je croyais que vous deviez faire sauter l'entrée du bunker pour les empêcher de sortir par là !

— Ouais... apparemment on nous a mal informés, répondit gravement le militaire.

C'était évident pour Elo dont la frustration de se retrouver coincé éclatait contre lui :

— Il y a des Chérubins parmi les équipes tactiques ! murmura-t-elle. C'est comme ça que Relais-1...

Sa phrase n'aboutit pas, mais Bruno avait saisi l'idée.

— Dans ce cas, ça veut dire que j'ai fait leur sale boulot ? Ils se sont isolés dans ce secteur et, grâce à la porte blindée, il n'y a plus d'accès par les catas. De ce côté-là, ils sont enfin tranquilles.

— Et par la surface ?

L'obscurité s'épaissit d'un soupir :

— Il y avait trois sorties à l'origine, répondit Bruno. Une s'est effondrée il y a des décennies et la deuxième a été scellée l'été dernier. Il ne reste que les escaliers qui mènent à l'ancien hôpital, mais...

— Est-ce qu'ils ont moyen de le boucher aussi ?

— En faisant tout péter, oui, hypothétisa Bruno. Mais ils ne vont jamais faire ça, ils s'enterreraient vivants... !

L'écran du lecteur illumina la main de Bruno. Les points orange avaient disparu. Ils se remirent en route, les couloirs toujours plus semblables les uns que les autres à l'exception des graffitis. Elo ne se demanda même pas comment il comptait les faire sortir d'ici, entre l'impossibilité de rebrousser chemin jusqu'aux catacombes et les mercenaires, plus agités que des particules jetées dans AGLAE, l'Accélérateur Grand Louvre d'Analyse Élémentaire.

Après tout, ils étaient bloqués, mais en mouvement, ils avaient peut-être encore une chance. Tout comme les Chérubins.

— Ça veut dire qu'il leur reste très peu de temps pour trouver ce qu'ils sont venus chercher, renchérit-elle, et pour s'enfuir avant que les cataflics réalisent qu'il n'y a plus personne dans les autres boyaux ?

— Comment tu sais qu'ils ont pas déjà ce qu'ils veulent ?

Elo bafouilla :

—... Bah, ils seraient déjà partis, non ?

— Oui, mais enfin...

Le regard de Bruno se perdit dans les rugosités de la galerie alors qu'il marchait d'un pas alerte :

— C'est vrai que leurs mouvements ne ressemblent pas à une retraite. Mais ils ne devraient pas être là. À l'instant où la police va comprendre où ils se sont terrés, la brigade anti-commando va leur tomber dessus et ça va devenir un tombeau ici. C'est pas logique.

À la mention du groupe d'intervention, Elo sautilla d'un pas pour le rattraper :

— Alors on a qu'à les attendre ?

Bruno secoua la tête.

— On n'a pas ce temps-là, dit-il d'une voix de nouveau grave. Vu comment ça grouille, ça serait un miracle si...

La salve de balles les faucha tous les deux. Elo reçut plusieurs coups au torse. La douleur la rendit sourde.

Elle s'écroula par manque d'air.

Il n'y avait que la faible lumière de la mitraillette tombée au sol, qui éclairait le bras sanglant de Bruno. Le visage d'un Chérubin couvert par des lunettes infrarouges surgit brièvement.

— Elle est encore en vie, dit-il.

— J'espère bien. Je vous ai prévenu, si elle meurt, je ne peux plus rien pour vous.

C'était la Capitaine.

Heka TombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant