— C'est ta faut', Catamomie, assena la voix dans l'ombre. Pourquoi tu ne nous as pas délivrés, plus tôt ?
La nouvelle voix, fluette, avait délivré son reproche dans une articulation parfaite. Le chant de l'amertume. Elo la chercha du regard. Elle aurait voulu s'expliquer, dire qu'elle n'avait pas pu foncer tête baissée, qu'elle avait eu besoin de renforts, de stratégie. Mais en vérité, elle était tombée sur Morgan, avait dû encaisser le choc de la savoir du côté des Chérubins, puis s'était perdue en sentiments. Tout son corps et tout son esprit avaient refusé de l'affronter.
Lorsqu'elle posa les yeux sur l'origine de la voix, la surprise la paralysa. C'était une jeune adulte avec des cheveux épais et ondulés, qui, asséchés par la poussière, s'échappaient en frisottis de deux tresses aplaties par les longues nuits où elles avaient servi de coussin. Même dans la semi-obscurité, Elo distingua deux prunelles claires mordantes. Son intuition reconnue Al-Khansā.
La jeune femme se méprit sans doute de la raison qui poussait Elo à la dévisager, car elle détourna la tête, la mâchoire serrée. Derrière son oreille gauche, une plume tatouée à l'encre noire. C'était elle, l'amie de Baudelaire.
Elo balbutia, se confondant en excuses.
Elle avait essayé d'indiquer aux cataflics où les otages étaient retenus, mais ils avaient été changés de salle (elle reconnaissait l'architecture du bunker).
Puis, elle avait essayé de remonter le lecteur de balise, afin d'offrir un avantage aux cataflics, mais elle avait été dupée par les mercenaires. Elle avait échoué, encore.
Elle était ridicule, inutile, coupable. Et, pourtant, elle dit d'une voix rauque :
— J'ai promis à Baudi et à Rimbaud-Verlaine que je te retrouverais. Ils m'ont sauvé. Alors je vais te faire sortir d'ici.
— Elo... l'implora Siana. Tu ressembles déjà à une toile de « Tir » de Niki de Saint Phalle !
— Tu les as rencontrés ? reprit Al-Khansā. Baudi et les garçons ?
Elo acquiesça, au moment ou un autre otage, dans la pénombre, demanda d'une voix pleine d'espoir :
— Tu sais comment sortir d'ici ?
— Je crois que j'ai un plan, oui, murmura Elo en passant son regard sur Siana et la poète. Faudrait que vous me tabassiez à mort, par contre.
Quelques minutes plus tard, Elo mordait son t-shirt pour paraître plus crédible. Lorsque son incisive se fraya un chemin dans les mailles, elle déchira le tissu.
Siana, qui l'observait avec anxiété, cracha un bout d'ongle :
— Je le répète, t'es pas nette. T'es pas fraiche. T'as du poisson pourri à la place du cerveau.
— C'est toi qui m'as donné l'idée ! se défendit Elo. Avec Niki de Saint-Phalle. Tu sais, le Sébastien ?
— Oh, oui. Celui avec la cible à la place de la tête ?
Question rhétorique. Cette œuvre s'appelait également Portait of my Lover. Siana ne décolérait pas :
— Tu m'en fais un beau de martyr, moule sans cervelle !
— Écoute, s'impatienta Elo en fourrageant dans son chignon. Tu voulais savoir comment ça se fait que je suis toujours en vie ? C'est parce qu'ils ne me veulent pas morte. On peut l'utiliser contre eux.
Siana la dévisagea avec mépris.
— El, ça fait six ans que je lis tes dissertes. Je sais que tu peux mieux faire comme dialectique.
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Heka Tombe
ActionAu cours d'une rave dans les catacombes interdites, Eloïse tente d'impressionner son nouveau béguin, quand Paris s'effondre. Elle est doctorante dans la grande École du Louvre, mais la réputation de sa cousine « pilleuse de tombes » menace ses rêve...