Chapitre 5 : La peau de Lana

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Elo sortit du métro en marchant à vive allure vers son appartement. Son pas pressé était calqué sur le rythme de croisière de la plupart des édéliens, entraînés à avaler les kilomètres de bitume humide et crasseux au péril de leurs chaussures, en moins de temps qu'il n'en faut pour dire : « le livre rare dont j'ai besoin se trouve dans une bibliothèque à une heure de transport du musée d'où je viens de sortir de cours ». Même essoufflée, Elo ne ralentit pas avant de devoir sortir son badge d'immeuble.

Elle avait quitté la bibliothèque à la fermeture. Elle regarda son téléphone : il était 19 h 40, elle n'en était qu'au deuxième étage, elle n'avait pas mangé, ne s'était pas changée et devait retrouver Siana et Quentin dans vingt minutes, dans un bar qui se trouvait à une demi-heure de métro. Un vendredi soir classique.

Un contre-la-montre pour avoir le moins de retard possible s'enclencha quand elle déverrouilla la porte de son appartement.

Clic. GO !

Sur le seuil, elle secoua les épaules pour faire glisser sa veste. Dans le même temps, elle se débarrassa de ses baskets en deux coups de pied. La veste atterrit sur un crochet bondé, puis tomba au sol. Elo fit un pas dans son appartement, envoyant valser son sac sur son lit. Dans le frigo, elle ne trouva que du beurre. Il lui restait du pain de mie pour le petit-déjeuner ; elle s'en fit deux tartines. Le sachet vide vola jusque dans la poubelle. Demain était un autre jour.

Entre deux bouchées, Elo se déshabilla entièrement. Ses pieds s'emmêlèrent dans son jean tandis qu'elle sautillait jusqu'à sa penderie. Dans le fond, un carton gondolé avait triste mine. Elle le tira à elle et en sortit tout son équipement, le jetant par-dessus son épaule. Elle fit le point : il lui manquait ses grosses chaussettes de ski. Ventre à terre, elle les trouva sous son lit ; les enfila telles quelles. Pour la forme, elle choisit un slip propre et une brassière fraîche : elle comptait danser, quitte à tasser ses lombaires, ces deux-là devaient être harnachés. Elle se souvint de prendre des antidouleurs, au cas où. Après avoir enjambé son lit, elle éventra son sac sur les draps. Le carnet sauta.

Pause.

Les secondes s'étirèrent. Elo fixait la reliure de cuir, les lèvres ourlées dans une moue dubitative. Vaincue par sa curiosité, elle céda dans un soupir contrarié. Elle ouvrit le carnet de Lana sur ses cuisses, le feuilleta sans succès : pas de symbole.

Elle s'attarda sur les titres des ouvrages. Ils se rapportaient tous, de près ou de loin, à la momification égyptienne. Quelques exceptions évoquaient des pratiques issues d'autres civilisations ; un article élargissait d'ailleurs la question et traitait de la postérité de ces pratiques.

Ce type de sujet était parfait pour l'accroche de sa thèse, ou bien pour l'ouverture de sa conclusion. Elo n'avait pas manqué de s'y intéresser. Tragiquement, elle avait été fascinée par la matière : absorbée par ces questions, elle avait approfondi, encore et encore, le sujet et n'avait émergé que trois mois plus tard, oubliant qu'elle avait une présentation à préparer pour son rendez-vous avec sa directrice de recherche.

Elo soupira. Elle s'était crue originale avec cette nouvelle approche transversale, mais, évidemment, sa cousine – le parangon du savoir encyclopédique par excellence – avait déjà pensé à faire des parallèles avec d'autres époques et d'autres civilisations.

La question était : « pourquoi la Pilleuse de tombes s'intéressait-elle à son sujet de thèse ? ».

— Argh ! bougonna Elo. Elle veut me voler mon sujet ou quoi ?

Devant elle, la bouche de son sac laissait entrevoir la boîte à lunettes de Lana. Elo l'accueillit sur sa paume et prit la paire du bout des doigts. Les carreaux ronds les plus célèbres, « après ceux de Léon », pensa-t-elle.

Les posant sur son nez, elle redressa le menton puis pivota théâtralement vers le miroir à côté de sa penderie.

— Bonjour, souffla-t-elle d'une voix sensuelle. Je suis Lana Magpie.

Avec une main, elle attrapa les cheveux de sa nuque et les releva dans une imitation de queue de cheval. Elle se mit debout, marquant une pause au milieu de la pièce, puis se déhancha vers le miroir.

— Je suis l'archéologue la plus riche, la plus intelligente et la plus sexy ! Et j'ai décidé de travailler sur les momies rien que pour doubler ma cousine trop stupide. Regardez comme je suis trop forte ! Ah !

De profil, Elo provoqua le miroir en lui montrant son biceps contracté, avant de lui envoyer un bisou.

Vrrr... vrrr... Son téléphone vibra d'un nouveau sms.

Les lunettes de soleil au bout du nez, Elo consulta l'écran, barré d'arcs-en-ciel, avec difficulté. C'était Siana qui l'informait qu'elle et son copain venaient d'arriver au bar.

Elo jura. Elle tapa une rapide excuse, louchant par-dessus les verres teintés... Puis se figea. Elle releva la tête, observant, cette-fois, l'écran à travers le filtre rouge des lunettes, puis baissa à nouveau le menton. Le mouvement faisait apparaître différentes couleurs.

Elo jeta un œil à son reflet : dans le miroir, elle vit sa mâchoire prête à se décrocher. Fébrile, elle regagna son lit et chercha, par des gestes agités, sa propre paire de lunettes dans son sac, avant de se souvenir qu'elle était dans la poche de sa veste. Elle courut à l'entrée, retourna le jean.

Les deux paires empilées sur son nez, elle relut le carnet depuis le début.

Un juron de surprise s'échappa d'entre ses lèvres quand elle retrouva le symbole qu'elle avait cru apercevoir au café : la silhouette simplifiée d'un crâne enfermée dans un grand « C » ; le logo des catacombes – visitables – de Paris. Ses yeux pétillaient d'excitation derrière les verres rouges et verts, à mesure qu'elle voyait une nouvelle encre apparaître sur les pages.

Lana cherchait bel et bien quelque chose à Paris. Toutefois, les brides de mots et de symboles en marge des références bibliographiques demeuraient mystérieuses... et Elo était en retard pour son rencard.

Heka TombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant