CHAPITRE 54 : Sacred Luxuries*

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L'eau s'infiltra dans sa bouche avant qu'elle n'ait pu achever son mot.

Elle cracha et l'eau revint de plus belle. Toute sa cage thoracique se replia sur ses côtes broyées et lui fit hurler des bulles. L'obscurité l'empêchait de voir où elle était ; elle ne pouvait se fier qu'à la pression sur ses bras, et s'efforcer de brasser plus rapidement.

L'oxygène disparaissait plus vite encore. Ses poumons rétrécirent jusqu'à la taille d'une noix. L'envie d'ouvrir la bouche était irrésistible... regonfler sa poitrine avec n'importe quoi, tant qu'elle cessait de la faire souffrir. Les dents serrées pour lutter, ce sont ses narines qui cédèrent.

La pierre la heurta.

Une seconde plus tard, Elo se hissait à la surface, incapable de haleter ; les hématomes à son torse l'empêchaient d'expulser l'eau. Elle tâtonna son chemin hors de la rivière. Privée du moindre appel à l'aide, elle ne pouvait que regarder l'immense cage d'escalier se cacher sous une mousseline noire. Elle frappa la pierre humide, sans réussir à faire du bruit, ou à signaler sa détresse. Il n'y avait personne pour la secourir.

En dépit de son incapacité à inspirer, elle fut surprise de constater qu'elle pouvait encore se tenir debout, parfaitement maîtresse de ses mouvements. Cette dichotomie inattendue diminua son effroi et elle franchit le reste de la barrière mentale d'un coup de pied dans la porte de sa peur. Dressée au-dessus de la dernière marche, elle se projeta violemment contre le sol. L'arête compressa son diaphragme si fort qu'il fut obligé d'expulser l'eau. La douleur l'aurait fait crier, mais le choc était encore insuffisant pour respirer. Elle surplomba de nouveau la marche, les bras tremblants, horrifiée de devoir s'infliger cette torture une seconde fois... et se jeta contre l'escalier. Cette fois-ci l'estomac, sa trachée, tout fut vidé.

Les mains sur les côtes, agonisante... ses jambes dans la rivière, traînaient au bord de l'inconscience. Elo vibrait sous la douleur qui se réverbérait à travers tout son corps. Mais elle respirait.

De longues minutes plus tard, quand les larmes cessèrent de couler, elle sut ce qu'elle devait faire pour survivre dans les catacombes. Car, désormais, elle savait ce qui l'avait protégée du courroux de la Capitaine. Qui l'avait protégée.

Elle ne comprenait pas exactement comment c'était possible, mais elle était certaine d'une chose : la petite Eloïse avait été si terrifiée par cette révélation qu'elle l'avait enfoui au fond d'une grotte inondée et calfeutré du manteau impénétrable de la peur.

Malheureusement, et contrairement aux avertissements qu'elle avait longtemps suivis sans se souvenir d'où ils venaient, elle allait devoir courir vers le danger et plonger dedans la tête la première.

* * *

Elo pataugeait dans l'eau à l'endroit où Marjorie avait jeté son revolver. Elle voulait une garantie. Si les mercenaires avaient réussi à trimballer un générateur jusqu'ici, des munitions étaient certainement stockées quelques parts. Ces chérubins étaient des fous de la gâchette.

La douche froide de la rivière – et de sa caresse avec la mort – lui avait fait prendre conscience que son séjour en souterrains altérait sérieusement ses facultés mentales. Il était temps de sortir, pour de bon cette fois, et elle préférait attendre de regagner le monde des vivants et du soleil brillant avant de juger de ces bribes de souvenir retrouvées. Pour cela, elle se forçait à penser méthodiquement, mais la fatigue rendait les choses de plus en plus difficiles.

Au-delà de la façade pseudo-néoclassique, la voix de Morgan s'élevait. Elo la reconnut à peine : suraigüe et hâtive. Le redoutable lieutenant LeFay avait visiblement du mal à tenir tête à sa maman sans perdre ses moyens.

Heka TombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant