Heka Tombe

CHAPITRE 61 : L'hécatombe

Après la disparition de sa mère, Elo se retrouvait sans tuteur légal. Son père ne l'ayant jamais reconnue, Angelina ne pouvait prétendre à ce rôle. En tout cas, pas tant que le testament de Camilla Magpie demandât que Lana le devienne. Âgée de douze ans au moment de la lecture, Elo avait été consultée sur le sujet.

Voulait-elle de sa cousine pour tutrice ? Elo visualisait le manoir Magpie, qui avait des allures de Versailles des forêts à ses yeux d'enfants, et sa cousine qui se battait pour le bien. Une vie de princesse et de chevalier. Elle dit oui.

Et puis, en acceptant de devenir sa marraine, même si Lana était jeune à l'époque, n'avait-elle pas fait la promesse de toujours veiller sur elle ?

Il fut convenu qu'elles se retrouvent d'abord, qu'Elo visite son futur foyer. Lana jura de l'accueillir avec des bonbons à dévorer à la belle étoile.

Elo avait attendu toute la nuit sous la fraîcheur des arbres, refusant de sortir du hamac tant que Lana n'apparaissait pas.

Sa grand-mère était venue la chercher au petit matin.

- Allez, viens. Winston t'a préparé un bon petit-déjeuner.

- J'ai pas faim.

- Tu ne préfères pas attendre à l'intérieur ? Devant des gaufres et un chocolat chaud.

Face au mutisme de sa petite-fille, Angelina s'était glissée dans le deuxième hamac. Elle avait observé la réaction d'Eloïse, mais celle-ci était perdue dans la contemplation des feuilles de chêne au-dessus d'elle.

- Tu sais, il ne faut pas en vouloir à Marraine. Elle est très occupée avec ses recherches. Je suis sûre que vous pourrez faire ça une autre fois.

- Non ! Elle devait venir aujourd'hui ! Hier ! Même avec maman, on ne pouvait pas la voir souvent. Maman disait qu'elle préférait les morts plutôt que les vivants.

Soudain, Angelina s'était étalée au creux du hamac, la main sur le cœur. Puis, un son guttural était sorti de sa bouche ; la langue pendante vers Elo, elle lui faisait une grimace.

- Ughhh...

- Mais qu'est-ce que tu fais, mamie ? s'offusquait Elo en contenant difficilement un éclat de rire.

- Je fais la morte ! Peut-être que ça fera venir Marraine ?

Angelina lui avait servi une nouvelle grimace, les bras en croix, réussissant à lui décrocher le premier sourire depuis plusieurs semaines. La petite-fille riait aux pitreries de sa grand-mère.

Elo perdait connaissance. Le visage bleui par le sang bloqué. Les yeux gonflés par les vaisseaux sanguins comprimés. Elle les ferma. Sa main lâcha les joues de sa grand-mère et ses bras tombèrent en croix sur le linoléum cireux. Ses doigts reconnurent la lame froide d'un ouvre-lettre.

- Mamie, pourquoi les gens meurent ?

Angelina s'était redressée dans le hamac, invitant la jeune Eloïse à la rejoindre d'un geste de la main.

- Je sais, ma chérie, c'est injuste...

Dans ses bras, sa petite-fille avait immédiatement fondu en larmes. Angelina l'avait laissée pleurer quelques secondes avant de lui redresser le menton.

- C'est injuste, mais heureusement, nous ne sommes pas sans ressource.

Les cils d'Eloïse avaient papillonné pour chasser ses larmes.

- Tu connais l'Antiquité ? avait demandé sa grand-mère.

Elle avait acquiescé silencieusement, laissant Angelina le loisir de poursuivre :