Le choc vida l'air de ses poumons. Ses ongles raclèrent la pierre. Elo se sentit mourir. Puis sa bouche se plaqua brièvement contre le plafond, mais il n'y avait rien à respirer. Le couloir était complètement inondé. Elle s'étouffait.
Emportée plus loin, elle perdit tous ses sens, seulement déchirée par la toux qu'elle ne pouvait plus contenir. Au bord de l'évanouissement, elle revit ce souvenir enterré ; la dernière fois qu'elle avait ressenti une aussi grande peur et qu'elle avait cru mourir.
Le brouhaha de l'eau et de ses gémissements laissa place à une voix familière.
— Ne cours jamais vers le danger ! grondait cette voix. Toujours vers la survie, tu m'entends ? Tu aurais pu te noyer...
La main d'Elo surgit hors du chaos. L'air gifla ses doigts écorchés. Elle sauta sur sa chance et émergea des flots. L'oxygène s'infiltra avec une telle violence dans sa gorge qu'il l'étourdit, rejoint par l'eau qui dégringolait de son visage. La toux, les crachats, suffirent à lui redonner un souffle. Elle s'agrippa de toutes ses forces à la première saillie.
La terreur de se faire à nouveau engloutir la fit hurler. Elle résistait difficilement à la force de l'eau et dut tirer sur ses bras pour s'extirper des bouillons. Elle s'accrocha à une autre pierre, la marche d'un escalier en ruines. Elle y prit appui de son corps contusionné et put atteindre la corniche dans une nouvelle plainte. Lourde de ses vêtements trempés, elle se traîna.
Quand elle fut enfin hors de l'eau, elle se laissa tomber, en larmes. Tous ses muscles se relâchèrent et son visage, plaqué au sol, assourdit ses pleurs.
Sa prise de conscience se fit crescendo et, lorsque les sanglots furent trop forts, elle roula sur le dos. Puis elle rassembla ses jambes, serrant ses bras contre elle. Ah... comme les câlins de sa mère lui manquaient.
La roche avait laissé des sillons ensanglantés le long de ses coudes et jusqu'aux doigts. Sa peau éraflée frissonnait. Son front et son nez n'étaient pas moins épargnés.
Bien que frigorifiée, Elo n'eut pas la force d'ôter ses habits. Elle était lessivée, comme passée par le tambour d'une machine à laver hérissé de clous. Elle voulait rester là, allongée, le plus longtemps possible et oublier l'eau qui rodait tout autour d'elle. Mais demeurer ici n'était pas la solution : l'autre côté du tunnel l'avait fait atterrir dans une nouvelle pièce. Quelle idée stupide elle avait eue, car malgré sa curiosité, le contre-la-montre pour s'échapper des catacombes ne s'était jamais arrêté.
Sa lampe frontale était toujours allumée. Le waterproof venait de faire ses preuves.
Elo augmenta la luminosité. Elle était étendue sur le haut des marches d'un escalier à moitié détruit et dont le bas se perdait dans la rivière souterraine. L'escalier occupait presque entièrement la salle ; elle avait été creusée pour lui.
Elo tourna la tête vers le reste de la plateforme. À sa droite, une masse sombre était adossée dans un angle. Elle s'approcha doucement, posant des mains violacées sur la pierre froide. C'était un squelette effondré dans ses habits d'époque. L'humidité avait rongé la plupart des tissus et favorisé la décomposition du cadavre, qui laissait, sous lui, une auréole brune séchée depuis des siècles.
Abandonné près des métacarpes, un marteau arrache-clou. Elo le ramassa, il ferait un bon remplaçant à la tête de pelle oubliée de l'autre côté de la tombe.
Sur les côtes éparpillées, un reste de chemise enlaçait une vieille reliure de cuir craquelée. Elo hésita à le toucher sans gants en coton.
— Désolée, dit-elle au carnet. C'est juste toi et l'acidité de ma peau.
Après avoir soufflé sur ses doigts encore humides, elle souleva délicatement le paquet qui tombait en morceaux et le posa à plat sur un endroit sec du sol. La couverture était nappée de poussière et d'impacts de moisissures blanchâtres. Elle la tourna et, dès le premier feuillet, comprit qu'elle tenait un journal intime vieux de plus de deux cents ans.
Elo le lut en diagonale. Déchiffrant des passages au hasard, elle comprit qu'un lettré y avait couché ses histoires de cœur, ses proses lyriques et ses ennuyeuses journées dans l'hôtel particulier de ses parents... puis sa politisation progressive. Le jeune bourgeois rêvait de marquer l'Histoire et s'enflammait sur l'actualité révolutionnaire. Il avait pris plaisir à fréquenter les milieux populaires, la masse ouvrière et les idéalistes de son âge. Avant de se ruiner en dépenses excessives.
Sur le point d'être renié par sa famille, il avait rencontré un homme. Celui-ci lui avait promis l'accès à un trésor, oublié dans les souterrains de Paris. L'homme connaissait le chemin, car il y emmenait souvent de jeunes gens et des bourgeoises en quête de frissons. Il disait avoir trouvé l'ancienne cave des moines chartreux, dont l'abbaye avait été saisie par les Révolutionnaires quelques années auparavant. Mais l'homme ne pouvait pas remonter le trésor par lui-même et voulait s'associer au jeune bourgeois.
Le cerveau d'Elo traduisait automatiquement les vieilles formules en français moderne. La dernière entrée narrait ceci :
« Nous n'avons rien trouvé. Malgré les marques laissées par Philibert, impossible de retrouver la cave des moines. Inquiet que notre éclairage ne s'épuise, Philibert nous a forcés à faire demi-tour. Lorsque nous sommes parvenus aux marches, une eau sortie de nulle part avait inondé tous les passages. D'après lui, la crue. Je l'ai blâmé de nous avoir piégés ici, mais Philibert dit qu'il ne se perd jamais dans les carrières, même s'il devait les traverser dans le noir et à la nage.
À présent, il est parti. Il m'a promis de plonger le premier et de repérer le chemin, à cause de ma cheville qui me fait souffrir. Plus tôt, je suis tombé dans un puits. Il a ensuite promis de revenir me chercher et nous nagerons, reliés par une corde, qui m'empêchera de me noyer dans l'obscurité.
Il me semble que plusieurs heures se sont déjà écoulées, impossible à dire ici. Je crains que toute cette entreprise n'ait été qu'une vaste arnaque pour me priver de mes dernières économies. Je me demande combien de jeunes bourgeois crédules ont été menés à leur perte par ce coquin. Le trésor est-il même réel ? Avec mes derniers instants, je maudis Philibert Aspairt ; qu'il n'atteigne jamais la surface et que ses os rôtissent en Enfer auprès de ces moines arrogants qui prétendaient avoir inventé l'élixir de longue vie. Ah ! Il n'en faut qu'une brève pour faire toutes les bêtises du monde ! Père, mère, mon frère, je suis désolé de vous avoir déçus. »
Une larme éclata sur le vieux papier. Elo se frotta l'œil. Elle se demandait si elle allait finir comme cet homme, perdue à jamais dans ce labyrinthe mortel, à regretter de ne pas avoir pu dire adieu à ses proches ; au peu qu'il lui en restait.
Elo se releva complètement : il fallait qu'elle ressorte vivante des catacombes, si ce n'était que pour raconter le destin de cet homme oublié.
Elle referma le journal, qu'elle rangea dans la poche arrière de son pantalon.
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Heka Tombe
ActionAu cours d'une rave dans les catacombes interdites, Eloïse tente d'impressionner son nouveau béguin, quand Paris s'effondre. Elle est doctorante dans la grande École du Louvre, mais la réputation de sa cousine « pilleuse de tombes » menace ses rêve...