Chapitre 3 : L'avocate du diable

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Lorsqu'elle arriva au café, Elo sentit qu'on la regardait. Elle fit mine de s'intéresser à la chaise la plus proche et s'installa à une table en terrasse : une surface de marbre froid sur des pieds galbés en fer forgé. Comme le reste du mobilier, elle était décorée de pampres et de feuilles de vigne.

L'intérieur de l'établissement lui rappelait étrangement la maison de son enfance. Les meubles, empruntés aux différents styles européens du XVIIIème siècle, étaient truffés de références à l'œuvre du comte de Caylus. Entre éléments archéologiques des civilisations antiques égyptiennes, étrusques, grecques et romaines, et tableaux du XVIIIème, Elo se sentait comme un poisson dans l'eau. Sa mère adorait leurs motifs.

— Excusez-moi. Eloïse Magpie ?

Une jeune femme en tailleur sombre, précédemment assise à l'angle de la terrasse, s'était déplacée jusqu'à elle. Elle avait des cheveux fins, d'un chocolat balayé de blond clair, arrangés en boucles généreuses qui caressaient ses épaules à chaque mouvement de tête et adoucissaient les angles de son visage. À son poignet, un bracelet en or rose piqué de cristaux blancs faisait scintiller la peau duveteuse de sa main, contrastant avec la fermeté de ses doigts serrés autour d'une mallette en cuir noir.

Elle posa sur Elo des yeux maquillés d'un sobre, mais élégant, trait de crayon marron assorti à ses prunelles franches.

— C'est Moirel, corrigea la doctorante.

— Pardonnez-moi, je n'ai pas été informée du changement de nom. Vous permettez que je m'asseye ?

Sa voix avait de légers accents britanniques, qui la trahirent. Elo devait la faire fuir.

— J'attends quelqu'un.

— C'est votre grand-mère qui m'a dit que je pouvais vous trouver ici.

Elo soupira. C'était donc une embuscade organisée.

Élégamment juchée sur ses escarpins vernis, la femme en tailleur tendit une main vers la doctorante.

— Morgan Eaton. De Smith, Harrison & Hall, le cabinet d'avocats employé par Miss Magpie.

— Je ne suis toujours pas intéressée pour être consultante chez Diamonds Dynamics, dit immédiatement Elo.

L'avocate rabaissa son bras.

— En fait, j'ai quelque chose à vous donner.

— Je ne veux rien d'elle.

— Je ne suis pas vraiment autorisée à partir avant de vous avoir présenté ça. De plus, le chemin a été long depuis Londres et Paris est un calvaire pour les talons.

Morgan Eaton tira la chaise en face d'Elo, dont l'émail des dents grinça en même temps que le métal sur le sol. Elo s'enfonça dans sa veste en jean, les poings dans les poches et le regard fuyant sous la table. Elle y vit l'avocate ôter discrètement ses chaussures, les orteils aussi rouges que la semelle Louboutin. Sa tête se pencha dans un sourire, égayé par le naturel de l'avocate. Puis, comme piquée par un dard, Elo se redressa et se saisit de la carte du café, qu'elle connaissait pourtant par cœur.

— C'est vous qui payez, dit-elle d'une voix enrouée.

— Bien sûr, répondit Morgan.

Son sourire amusé amplifia l'éclat de ses yeux. Elo déglutit.

Elle se retourna et fit signe au serveur qui nettoyait une table voisine. Elle commanda son plat préféré de l'établissement, customisé à la sauce végétarienne. L'avocate ne prit qu'un café allongé.

Heka TombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant