Chapitre 41 : Dans l'antre du dragon

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Assise sur une caisse de matériel, Elo se réhydratait au goulot d'une bouteille en plastique. La salle, tenue par les renforts de police comportait deux entrées et deux piliers couverts de tags : l'un en pierre, l'autre en béton. Elo en reconnaissait la facture, proche des aménagements faits aux alentours des trois bunkers de la Seconde Guerre mondiale. À cette époque, les catacombes étaient aussi bien habitées par les nazis, les collabos que les résistants, à un quart d'heure les uns des autres.

Elle leva les yeux sur l'un des tags. C'était un immense serpent blanc à plumes, dont le corps s'enroulait autour du pilier de béton et traversait des zones de feu, des ruines carbonisées et des cadavres de soldats qu'il dissimulait sous une aile, voile mortuaire au-dessus des massacres ; malgré les spirales barbelées, il parvenait jusqu'au sommet, son bec de colombe apportant un rameau d'olivier à une femme en larmes : le visage emprunté à Dora Maar.

La décomposition de la figure en différents plans réunis dans un même visage ne trompait pas, La Femme qui pleure de Picasso* était reproduite sur le haut du pilier. La célèbre photographe pleurait en couleurs chatoyantes, à l'exception du centre du portait, fade, en bleu triste, hérité de la période du même nom du peintre.

Appuyée contre le dragon de paix, Juliette faisait les présentations. Entre deux déglutitions, Elo entendait que le groupe d'intervention avait apporté du matériel supplémentaire, en plus des six paires de bras. En retour, l'interlocuteur posait des questions au major : comment avaient-ils fait pour esquiver les rondes jusque-là, comment comptait-elle mener l'assaut pour récupérer les otages, etc.

Elo dévisagea le chef de la nouvelle unité, le seul qui avait ôté son casque, mais dont rien d'autre qu'un peu de peau blanche autour de ses yeux verts ne perçait sous sa cagoule.

Une goutte d'eau roula au coin de sa lèvre, Elo l'essuya du revers de la main, hantée par les informations que lui avait données Morgan sur le plan de la Capitaine.

Près d'elle, De Ravenne avait déballé son puzzle électronique sur une caisse. Tandis qu'il reprogrammait la montre avec un petit ordinateur, la concentration avait transformé ses sourcils en triangle inversé. De l'autre côté, Simone passait son arme de service au chiffon, désassemblée pour retirer le remblai des mécanismes vitaux.

L'attention d'Elo était à ce point canalisée vers les gestes minutieux du cataflic, qu'elle apprit à démonter et remonter l'arme rien qu'en l'observant, et ne remarqua que tardivement Juliette qui leur tournait autour... En levant la tête, elle intercepta un échange de regards, bref mais intense, entre le major et son brigadier.

— Dites, les gars, lança Juliette à l'intention des policiers en noir. Vous avez fait vite, on ne vous attendait pas tout de suite.

Dressée sur un déhanché nonchalant, elle se tenait à nouveau derrière le pilier, contre lequel reposait son fusil. En face, les prunelles kaki de son précédent interlocuteur s'étaient figées. D'un geste lent, il remit son casque sur sa cagoule.

— Ouais, s'affligea Juliette d'une voix grave. C'est bien ce que je pensais... Maintenant.

Prise de court par le ton calme du major, Elo ne vit pas arriver Simone, qui se jeta sur elle.

Sa tête claqua contre le sol. Sous la pression d'une lame froide, les liens de serrage éclatèrent sur ses poignets. Simone se dégagea rapidement, au moment où les balles commençaient à fuser. À l'abri des caisses, cachée des deux accès, Elo se recroquevilla sur elle-même. Le cauchemar recommençait.

Seul son instinct la poussa à protéger sa tête des éclats de calcaire et de métal.

— Merde ! hurla De Ravenne non loin.

Heka TombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant