Eloïse, treize ans, aurait voulu se jeter dans le torrent si ça lui permettait de retrouver sa mère.
Le lendemain de l'inondation, l'orage était passé, mais les rues encore noyées contraignaient les habitants à l'inaction. Eloïse avait échappée à la surveillance des secouristes pour retourner près de l'eau ; elle voulait retrouver sa maman. Pourchassée par une voix, elle courrait.
Pour se rendre au supermarché, il fallait traverser cette rue boueuse. Sa maman était forcément là-bas ! L'eau filait sous ses yeux, mais l'enfant était inconsciente de sa puissance.
Son pied s'avança pour quitter la corniche.
- Petite !
Elle glissa.
Et fut rattrapée de justesse par Marjorie, la main derrière sa nuque. Les yeux exorbités, Elo s'accrochait à l'embout dont sa vie dépendait, sans que les à-coups de son cœur lui permettent d'en tirer de l'oxygène.
Au fond du puits, la brèche était tout juste assez large pour qu'Elo et Marjorie puissent s'y enfiler, côtes à côtes. Aux bords lisses du puits succédait un relief brut qui fonçait la roche sable.
Le puits avait été éventré sur un flanc, vraisemblablement par une explosion ciblée dont les Chérubins avaient le goût. Le trou inondé rejoignait la rivière souterraine, masse sombre et opaque, que la lueur de leurs lampes torches ne perçait pas à deux mètres.
Elo se sentit entraînée par un courant subtil. Son poing se referma sur le câble. Marjorie ne lui laissa pas le loisir de s'acclimater : le regard inquisiteur de sa gardienne lui présentait trois doigts, un décompte au bout duquel elle reprit le détendeur de sa bouteille d'oxygène. Puis, elle l'agrippa par la taille et l'entraîna à la force de ses palmes à travers le boyau.
Par un réflexe de survie, Elo enroula ses bras autour de la mercenaire. Elle n'avait que sa combinaison, un seul gant - support à une petite lampe torche, et un masque embué ; ses cheveux flottaient autour de l'élastique, contrairement à Marjorie que la tenue englobait jusqu'à sa tête. Elo se retenait au gilet stabilisateur de sa guide forcée. Parfois, quand Marjorie mettait un coup de jambe, Elo sentait le contact d'un couteau accroché à sa cheville.
Soumise aux aléas du boyau et à la merci de la mercenaire, elle ne pouvait s'empêcher de battre du bout de ses pieds nus à la recherche de stabilité. Elles tournoyèrent ainsi sur une centaine de mètres, aspirées par le faible courant. Bien qu'Elo eût été incapable d'estimer les dimensions de la galerie, elle sentait ses poumons se rétrécir. Ils formaient une boule de plus en plus douloureuse au creux de sa poitrine et lourde comme une...
... une femme qui s'était jetée à plat ventre sur la berge accidentée. Elle lui broya les jambes et le bras pour la remonter. Elle l'attira à elle, puis la jeta plus loin.
- Pourquoi tu as couru comme ça ?
Eloïse atterrit lourdement et, trop choquée pour répondre à la dame blonde, aussi large et grande qu'un tronc de pin qui lui criait dessus, elle oublia de respirer. Rapidement, sa vue se brouilla de larmes de frustration.
Des larmes de remerciement. Marjorie était avare en oxygène et ne lui laissait qu'une bouffée de temps en temps.
Sa trachée en feu accueillit l'air artificiel avec difficulté. Elle aurait voulu ouvrir sa cage thoracique pour se noyer tout de suite. Mais Marjorie lui plaquait l'embout dans la bouche et elle inspira. Ses yeux se fermèrent.
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Heka Tombe
ActionAu cours d'une rave dans les catacombes interdites, Eloïse tente d'impressionner son nouveau béguin, quand Paris s'effondre. Elle est doctorante dans la grande École du Louvre, mais la réputation de sa cousine « pilleuse de tombes » menace ses rêve...