La Capitaine émergea dans une gerbe d'eau menaçante ; le teint bleu, les yeux rouges. L'éclairage, jaunâtre, ne rendait pas justice à ce camaïeu de colère. Elle se jeta à plat ventre sur la pierre, avec une violence qui surprit Elo. La doctorante ramena ses jambes contre elle en la voyant vomir un flot translucide.
Marjorie se précipita vers sa cheffe et, les bras sous ses aisselles, l'extirpa complètement de l'eau.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
La Capitaine, en appui sur ses genoux, repoussa son soldat alors qu'elle crachait des restes de la rivière. Elle cherchait encore son air. Entre deux toussotements, elle réussit à prononcer d'une voix abimée :
- Rien qu'un contretemps.
Et en deux temps trois mouvements, la grande blonde déclipsa son gilet, fit tomber son équipement saturé d'eau au sol, puis replongea les bras dans la rivière. Marjorie esquissa un geste pour la retenir par la taille, mais la Capitaine avait déjà récupéré son butin : un lourd jerrycan en plastique rouge, rempli d'essence, qu'elle avait dû lâcher lors de son arrivée dramatique.
Alors que Marjorie l'aidait à le traîner hors de l'eau, Elo risqua un œil vers l'équipement de la Capitaine. Puis, allongeant discrètement la jambe, elle souleva un pan du gilet. Le bout de ses orteils révéla la bouteille d'oxygène transpercée d'un tir de balle.
Elle sursauta en sentant une lame se coller contre sa gorge. La Capitaine la dardait d'un œil assassin, les vaisseaux encore gonflés par l'asphyxie.
- Morgan... ? s'inquiéta Elo.
- En route, ordonna-t-elle dans un souffle nauséabond.
Le cœur bombardé par l'inquiétude, Elo se redressa lentement, précaution nécessaire jusqu'à ce que la Capitaine retire la lame de sa gorge et la pousse devant elle. Il y avait une seconde volée de marches à gravir avant d'atteindre la haute entrée et, apparemment, Elo allait ouvrir la voie. Elle jeta un coup d'œil à Marjorie. Le berger allemand était de retour : d'un air complètement détaché, elle suivait les ordres de la Capitaine sans un mot. À sa panoplie de plongée, un cylindre étanche tenu par un mousqueton révéla un revolver en pièces détachées. Quand Marjorie s'en empara, le visage d'Elo s'assombrit : elle n'espérait plus. Elle allait mourir dans les catacombes et, après les morts dont elle était responsable, sans doute le méritait-elle.
Elle baissa la tête vers ses pieds ; les talons gelés claquaient la pierre. Ici, les contremarches laissaient entrevoir des mots gravés à chaque degré.
« OSE SAVOIR »
« DARE TO KNOW »
« WAGE ZU WISSEN »
Une même phrase, déclinée en une dizaine de langues européennes, orientales, asiatiques.
La Capitaine arrivait dans son dos, le glouglou du jerrycan en écho à ses pas.
- J'attends pas demain.
Elo avisa le couteau qu'elle tenait toujours, mais l'emprise de cette menace diminua face au spectacle édifiant qui l'attendait en haut des marches : la façade d'une entrée gigantesque rompait la monotonie de son environnement comme un temple.
Malgré l'obscurité, elle reconnut les codes du néoclassicisme. Tous les exemples stockés dans son œil pouvaient s'y apparenter, et pourtant, celui-ci demeurait inouï. Ce courant, ou plutôt ces courants néoclassiques étaient nés aux XVIIème et au XIXème siècles - si l'on voulait viser large sans s'arrêter une année entière sur la question. Majoritairement européen, le néoclassicisme était présent dans tous les arts, de la sculpture à la composition des jardins, en passant par la peinture, l'estampe et l'architecture, et se traduisait par une recherche d'expression pure d'idées morales et patriotiques. Pour cela, il piochait dans le répertoire des formes antiques (grecques, étrusques, romaines, égyptiennes, etc.), mais aussi dans les interprétations de ces formes antiques qui avaient déjà eu lieu à d'autres époques, postérieures ; comme dans le classicisme d'un Nicolas Poussin au XVIIème siècle qui s'inspirait lui-même des expériences de la Renaissance (XIIIème-XIVème siècles).
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Heka Tombe
ActionAu cours d'une rave dans les catacombes interdites, Eloïse tente d'impressionner son nouveau béguin, quand Paris s'effondre. Elle est doctorante dans la grande École du Louvre, mais la réputation de sa cousine « pilleuse de tombes » menace ses rêve...