Chapitre 44 : Sêptikós (Σήψις), putréfaction

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Des bribes de paroles hantaient l'esprit d'Elo, sans qu'elle puisse se souvenir de leur signification. C'était un brouhaha fugace qui ne s'accrochait à aucune image distincte. Et, chaque fois qu'une ombre semblait se fixer, la voix de la Capitaine la faisait fuir aussitôt. Alors, Elo la suivit. Tapis dans la caverne de son inconscience, les sons insaisissables se changeaient en volutes rouges englobées de brume pétrole... jusqu'à ce qu'ils s'éteignent. Ce fut seulement à ce moment-là qu'elle put chercher à émerger des abysses.

- Humkbf, baragouina-t-elle.

Elle ouvrit les yeux juste à temps pour intercepter le bras de Siana qui s'apprêtait à lui servir un revers fracassant.

- Qu... Quoi ? balbutia son amie.

Elo écarquilla ses paupières engluées. Son amie était là, visage pâle éthéré au milieu de la caverne. Elle l'attrapa par les épaules et l'enlaça en pleurant. Une douleur aux côtes transperça Elo comme un poignard, mais, le nez dans les dreadlocks rouges, elle se libérait de toutes ses angoisses. Ce qu'elle avait repoussé dans les Catacombes à la faveur de sa survie, enfin, elle pouvait le pleurer : la perte de son ami, sa peur d'avoir perdu Siana, sa peur de mourir et celle d'être seule.

- Je suis désolée... sanglota-t-elle. Je n'ai pas réussi à trouver Quentin.

Siana rejeta la tête en arrière, laissant échapper des gémissements plaintifs.

- Je suis désolée, répéta Elo en cachant son visage dans ses mains. J'ai essayé.

- Je sais, Lolo... hoqueta Siana. Je sais.

Son amie ne trouvait plus son air entre ses sanglots et cherchait les doigts d'Elo comme s'il s'agissait d'une buse d'oxygène. Dans ses phalanges broyées refluait le chagrin.

- Je n'aurais jamais dû te demander d'y aller... ! dit Siana.

- Oh ! la ferme ! s'exclama un mercenaire.

Il avait passé la tête dans la seule ouverture de la pièce.

La salle, étrangement humide, n'était éclairée que par l'aura lointain d'une lampe acétylène placée près de la sortie. Un mercenaire faisait sa ronde, sans rien dire. Un autre était assis de l'autre côté du passage, le revolver sur les genoux et un masque de nuit sur les yeux.

Dans la salle, des silhouettes allongées constituaient un amas gris ; une demi-douzaine d'otages aux mains liées, et attachés entre eux par une corde nouée autour d'un clou géant planté dans un mur de pierre.

- Tu... tu vas bien ? hoqueta Siana. Ta veste était défoncée et ton casque était plein de pètes.

Le rideau de larmes d'Elo s'ouvrit dans un sourire, face au second sens de cette formulation. Sans réussir à répondre, elle toucha ses abdos douloureux.

- Il y avait un autre homme avec moi, réussit-elle à articuler. Un militaire. Bruno... ?

Siana s'excusa dans un filet de voix :

- Désolée, ils n'ont déposé que toi.

Incapable de prendre sa respiration, Elo ouvrit la veste qui la compressait. S'ensuivit une pluie de cliquettements. Des balles aplaties tombèrent entre ses cuisses. Elo et Siana échangèrent un regard éberlué.

- Comment est-ce que t'es toujours en vie ?! s'offusqua presque Siana.

Dans ses yeux se logeait la même stupeur que si elle avait oublié de mettre du tabac dans sa cigarette avant de la rouler. À dire vrai, la question était plus que légitime. Face à des paramilitaires, ses chances de survie étaient nulles, archinulles. Elle se tâta les côtes et la peau des bras, pas d'égratignures supplémentaires liées à la fusillade : soit les Chérubins tiraient comme des Stormtroopers, soit ils étaient si habiles qu'ils pouvaient choisir de l'épargner.

Heka TombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant