CHAPITRE 48 : Fonte à la cire perdue

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Les grosses gouttes martèlent le capot vert de la voiture. Le rideau de pluie rend indistinct le souvenir de ses traits. Pourtant, sa silhouette détrempée est juste derrière l'épaisseur du pare-brise. Une ombre rosée est posée sur la vitre, cinq doigts qui voudraient dire « adieu » autant que « jamais je ne t'abandonnerai ».

- Maman ! Maman !

La petite Elo s'éveille en sursaut sur le clic-clac de sa grand-mère, les larmes ayant inondé l'oreiller creux sans qu'elle ne s'en rende compte. L'air d'hiver s'est infiltré à travers le joint vieilli de la fenêtre et a gelé ses sueurs.

La porte de la chambre répond à ses pleurs, comme d'habitude, et Angelina se pose sur le côté du lit pour la prendre dans ses bras.

- Chuuuuu... chuuuut, la berce-t-elle.

Les sanglots d'Elo ne s'apaisent pas. La nuit rendue grise par les lampadaires ne la rassure pas.

- Je n'aime pas ici, mamie.

Angelina, qui a suivi son regard par la fenêtre, place une main délicate sur son visage pour le détourner de la jungle de béton, bruyante et moche.

- Demain, j'achèterai des rideaux. Avec de jolies fleurs ? Tu dormiras mieux, tu verras.

- Pourquoi je peux pas aller habiter chez marraine Lana ?

Sa grand-mère inspire calmement.

- Elo, tu sais que Lana ne veut pas te recevoir. Tu ne te souviens pas de la nuit, au manoir ? Elle n'est jamais venue. C'est une méchante marraine. C'est moi qui m'occupe de toi, ce n'est pas mieux comme ça ?

- Mais elle avait dit...

- Parfois les gens mentent. Et ceux qu'on pensait être gentils se révèlent mauvais au moment où on a le plus besoin d'eux.

- Pourquoi... ?

Les sanglots d'Elo s'étaient réduits à des hoquets reniflés. Angelina et elle regardaient l'orage s'éloigner de Paris pour se perdre dans le crépuscule. Sa grand-mère pose une main sur son épaule et la presse légèrement.

- C'est comme ça, répond-elle simplement.


La voix de Morgan perça le brouillard de la pluie parisienne, cave. Mais la douleur, torpide, la renvoya dans les limbes. Sa poitrine compressée tourbillonna dans les souvenirs de mensonges que lui pointait la petite Elo en sanglotant de rage sur son clic-clac.

La liste des gens qui l'avaient abandonnée à son sort venait de s'allonger drastiquement : son père, sa mère, Lana, Bruno et Al-Khansā. Peut-être aurait-elle dû écouter cette voix qui l'avait hantée depuis les éboulements. « Ne cours jamais vers le danger ». Elo ne se souvenait plus qui lui avait dite. Elle avait pensé à sa mère, ou à sa grand-mère, mais plus ses souvenirs revenaient et moins cela faisait sens.

Peu de choses faisaient encore sens, à vrai dire...

Puis, un souvenir indistinct, quelques mots arrachés à son cœur :

« Lana te faisait confiance ! » s'écriait-elle dans la froideur du bain des catacombes. « Elle le fait toujours... », avait répondu Morgan.

Ah... Elo aurait dû se douter de l'anguille qui se lovait sous la roche. Lana ne faisait jamais confiance, à personne. Elle ne pouvait pas se le permettre, entre quêtes solitaires et complots d'entreprises. C'était d'ailleurs pour ça qu'elle préférait la compagnie des objets, incapables de traîtrise et porteurs de sens. Et c'était d'ailleurs à cause de cette manie qu'Elo, elle-même, préférait la compagnie des morts - incapables de promesses, il leur était impossible de les rompre.

Heka TombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant