Chapitre 36 : Suzanne au bain

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Quelques minutes plus tard, les doigts de pieds d'Elo touchaient la surface de l'eau.

— Ksss, feula-t-elle.

Les bras de Morgan autour de ses cuisses les remontèrent d'un bond sur ses hanches. Leurs peaux nues claquèrent. Le Lieutenant s'enfonça d'un nouveau pas.

Désormais mouillée jusqu'à la malléole, Elo grimpa plus en avant sur le dos de Morgan.

— Tu m'étrangles... siffla la mercenaire.

— Je ne veux pas, gémit Elo. Je vais mourir d'apoplexie... ou d'hypothermie... ?

— Elo... laissa échapper la voix étranglée de Morgan.

— D'hydrocution ! s'exclama-t-elle, ravie d'avoir trouvé son mot.

... qui fut noyé dans le splash de son corps jeté à l'eau. Morgan s'était immergée, l'emportant avec elle.

Électrisée par la soudaine fraicheur, Elo bondit sur ses pieds. Sa bouche resta grande ouverte sur un juron trop vulgaire pour être prononcé. Tandis que ses prunelles hurlaient au scandale, ses mains battaient l'air vif. Une chair de poule la recouvrit entièrement.

Morgan émergea à sa suite, très peu touchée par ses griffes écartelées. Elle se cala dans son dos et couvrit ses épaules de ses bras, l'attirant légèrement en arrière pour la réchauffer.

Elo se laissa couler, rassérénée par la température émanant de la peau de Morgan. Celle-ci dénoua soigneusement la tresse qui ne trônait plus que maladroitement sur le crâne d'Elo.

— Tu es là-dessous depuis longtemps, fit remarquer Morgan en constatant l'état de ses cheveux.

— À qui la faute ?

La mercenaire continua son chemin en passant ses doigts mouillés dans les ondulations sombres, avant de redescendre sur la nuque. Elo laissa sa tête basculer contre sa main, les yeux ouverts, mais le regard absent. Elle n'aurait jamais eu la force de se laver seule. Morgan toussa en massant la couche de poussière qui lui faisait une seconde peau.

Un nuage de calcaire tournoyait autour des deux corps, troublant la frontière entre leurs silhouettes. À genoux dans le couloir inondé, l'eau leur arrivait juste au-dessus de la poitrine. Elo avait retrouvé sa stabilité, portée par la densité de l'eau. Elle nettoya son visage de plusieurs coups de main et trouva sa peau étrangement douce.

— J'en ai même dans le nez... râla-t-elle.

La doctorante se moucha bruyamment, puis éloigna le mucus d'un geste dégoûté. Son regard croisa celui de Morgan, qui faisait couler un filet sur sa nuque. Les marques de dents étaient encore rouges. Avec un sourire en coin, Morgan approcha deux doigts de ses narines.

— Tu es sûre que c'est bien propre ? taquina-t-elle.

Elo détourna la tête en maugréant :

— T'es dégueu.

Morgan pouffa.

— Quand tu passes une semaine au fond d'un trou avec cette équipe de bras cassés, ton élégance british – ou french – fuit avec le bon café.

— Et tu fais ça souvent ? l'interrogea Elo d'un sourcil pointé vers le ciel.

Morgan joua avec l'une des mèches noires d'Elo d'un air songeur. Son visage, à contre-jour du luminaire, ne laissait paraître la lassitude qu'à travers des yeux bas. Le reste de ses traits semblaient imperméables à tout ressenti.

— Parfois, les missions peuvent durer. On passe des mois en planque et puis, tout d'un coup, on a douze heures pour faire sortir du pays soixante-trois carreaux de céramiques qui décoraient un palais, ou un poignard forgé dans une météorite. Et d'autres fois, on a une demi-journée pour nettoyer un site qui va être bombardé.

Heka TombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant