Chapitre 19 : Mise en abîme

9 2 0
                                    

Son premier instinct fut de plonger la lampe dans la cavité.

Heureusement, l'ouverture de la cheminée ne l'exposait pas directement. Le large conduit de briques se trouvait dos à elle et les piliers qui bouchaient la vue couvrirent sa fuite. Elle n'eut que quelques secondes pour s'engouffrer dans la trappe et la rabattre au-dessus d'elle, au moment où une voix demandait :

— Vous avez entendu ?

Puis, une deuxième paire de pieds toucha le sol.

— Détachez vos cordes, dit le nouvel intrus. En position.

L'atterrissage d'une troisième personne dans la cheminée ponctua l'ordre. Malgré des sons étouffés, Elo discerna le cliquetis des baudriers, puis le trio s'éparpilla et Elo ne perçut plus que des bribes de conversation.

—... faible lumière d'en haut...

—... pas un réseau connu, pourtant...

—... R.A.S.

Leurs pas étaient légers, millimétrés.

En équilibre sur les barreaux, Elo laissa échapper la lampe à huile, qui éclata quelques mètres plus bas. Une flaque enflammée éclaira les pieds de l'échelle à la manière d'une piste d'atterrissage. Et se mit aussitôt à dévorer le bois.

Elo désescalada les barreaux du bout des semelles – demeurer imperceptible était primordial, puis tapota les flammes.

L'obscurité fondit sur elle.

Au-dessus, un tonnerre de pas frappa le sol.

— D'où est-ce que ça venait ? gronda une voix plus proche.

Elo sentit l'air s'épaissir. Il s'enroulait autour d'elle comme une couverture d'angoisse, un serpent constricteur en appétit. Immobilisée par les ténèbres, elle força ses poumons à repousser la pression d'une inspiration plus profonde. Après quoi, elle écarta prudemment les bras.

Le bout de ses doigts se cogna contre des planches. Un tintement de bouteilles manqua de la trahir. Elo rentra la tête dans les épaules, les dents serrées, mais le bruit avait été plus sourd que dans la caisse : ces bouteilles-ci étaient pleines.

Prêtant l'oreille aux coups de talons, elle ne bougeait plus. Et les minutes s'égrainèrent tandis qu'ils se raréfiaient. Alors Elo se détendit ; elle n'avait plus qu'à attendre que les intrus partent. Le cellier dans lequel elle s'était piégée ne devait probablement pas disposer de sortie. Elle devait juste patienter...

Calmement...

Parmi les liqueurs...

Bon sang, elle avait trouvé les fameuses liqueurs !



Depuis le fond de son trou, plus grand-chose ne lui parvenait et, assise en tailleur au milieu des bouteilles, Elo commençait à avoir des fourmis dans les jambes. Elle les délia, puis s'avança à tâtons prudents vers l'échelle : le sol couvert d'huile et d'éclats de verre, elle se retint aux étagères.

Après avoir à nouveau gravi les échelons, elle colla son oreille contre la trappe. Les intrus avaient une discussion animée :

—... poussière. C'est forcément là !

Elo se raidit.

— Mais non, y a rien.

À son poignet, la montre digitale qu'elle s'était offerte après l'obtention de son master décomptait toujours le temps d'autonomie de sa lampe frontale. Aspirée par la curiosité qu'avait suscitée la découverte de la cave aux odeurs de momies, Elo avait oublié de suspendre le minuteur.

Ses chiffres invisibles indiquaient désormais...

— BIP ! BIP ! BIP !

Elo enferma son bras contre elle pour étouffer l'alarme. Son pied faillit glisser du barreau. D'un coup, la trappe s'ouvrit. Deux visages renfrognés se penchèrent au-dessus d'elle.

— Je t'avais dit, grogna l'un à l'autre.

Elo trouva enfin le bouton de sa montre. Le calme revint.

— Désolée... dit-elle d'une voix gênée.

Elle fut soulevée par les aisselles.

Heka TombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant