Chapitre 4 : Le « Grand » Louvre

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À la bibliothèque semi-enterrée de l'EdL, ou École du Louvre, Elo fixait depuis dix minutes les diagrammes du dernier article de chimie organique qu'elle venait d'imprimer, sans réussir à les lire.

Alors que les noms composés des molécules à dix syllabes dansaient devant ses yeux, elle posa les coudes sur sa table. Elle n'avait pas la tête à travailler. Elle avait besoin d'un café : une pratique nécessaire à la survie des édéliens, le nom donné aux élèves.

Elo prit sa carte magnétique, une écharpe épaisse enroulée autour de ses épaules. Ses bottes grinçaient au rythme de ses pas sur le revêtement du sol, sacrifiant le silence sépulcral, qui régnait sous les hautes voûtes en calcaire. Des têtes se dressèrent au-dessus de la forêt d'écrans d'ordinateurs portables. Elo passa devant les tables alignées en longues rangées, qui formaient comme des enclos individuels pour la volaille gavée de connaissances.

Après avoir passé les portes magnétiques, elle gravit les marches jusqu'au simulacre de cafétéria. À cette heure, elle était pleine : il faut dire que l'espace était cher dans ce monument prestigieux. Lors des travaux des années 90, qui avaient notamment donné naissance à la Pyramide de verre et aux grandes réserves – inondables – du musée, l'École avait demandé à profiter du chantier. Celui-ci avait encore plus creusé la mésentente entre le Musée et l'École qui se disputaient cette portion du Palais depuis 1882.

Elo fit biper la machine et attendit que le gobelet beige se remplisse d'ambroisie. Dans sa main, une autre carte s'était glissée entre celle de sa banque et celle de la bibliothèque : le carton avec le numéro de Morgan Eaton. Elo se demandait si l'avocate serait tout autant intéressée par elle que par les catacombes.

Elle fourra les deux autres cartes dans la poche arrière de son jean et s'empara de son café, à la recherche d'une place. Même les bancs en pierre, sous les affiches d'examens, étaient peuplés d'élèves : ici, l'un rattrapait son déjeuner en fuyant les regards, là, deux autres réconfortaient une troisième en larmes. Elo passa son chemin, elle irait consommer son café dehors.

Elle se traîna jusqu'aux portes automatiques, une main tenant ses lombaires endolories par une trop longue période assise. Elle s'arrêta à la moitié de l'escalier en pierres grises qui marquait l'entrée du Pavillon de Flore et posa son gobelet fumant sur le piédestal, dégoulinant d'oxyde de cuivre, de l'une des deux lionnes vertes gardant la porte. Elle se plaqua contre le muret, puis déplia le mouchoir fourré au fond de sa poche. Après avoir expulsé la pollution de ses narines, elle sortit son téléphone.

Elle prit une gorgée de café, la carte de visite de Morgan Eaton sous les yeux. Elo secoua la tête, ne croyant pas ses propres pensées. Cette histoire de descente dans les catacombes était ridicule. Elle allait plutôt inviter l'avocate autour d'un simple verre, en surface.

Elle composa le numéro.

Et raccrocha aussitôt.

— Mais quelle idiote ! laissa-t-elle échapper.

Elle descendit le reste des marches, afin de s'éloigner des regards de biais qu'elle avait suscités. Elle n'avait aucune idée de ce qu'elle faisait. Elle se rappelait seulement les épaules carrées de l'avocate, ses lèvres étirées et ses yeux emplis de curiosité. Elle voulait en savoir plus.

Le téléphone toujours dans la main, elle décida de composer un autre numéro. Celui qu'elle pouvait toujours appeler quand elle voulait boire un coup.

— Hé, salut ! répondit une voix enjouée. Tu vas bien ?

La voix de son amie Siana lui décrocha un sourire.

Heka TombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant