Chapitre 17 : N'est pas chasseur de trésor qui veut

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Dans son carnet, le jeune bourgeois décrivait le chemin que lui et Philibert avaient pris. Elo put également suivre les initiales laissées par le patron des cataphiles. Chaque monogramme semblait indiquer un secteur par lequel il était passé sans trouver le trésor. Elo progressait par élimination. Plusieurs fois, elle sentit le métro gronder près d'elle. Ce nouveau réseau, assez restreint, en était plus proche. Ici, les galeries laissées par les carriers avaient été réutilisées en cave à différentes époques, comme pouvaient en témoigner des dates inscrites sur les murs. Pour couper les tunnels, quelques habitants avaient donc bâti des cloisons, plus tard, certaines avaient été abattues pour reconquérir de l'espace, ou bien s'étaient effondrées. Quelques-unes étaient également percées de chatières : de nombreux trafics avaient dû avoir lieu dans ces entrailles.

Progressant dans le sens des aiguilles d'une montre, Elo revint plusieurs fois sur ses pas pour s'assurer qu'elle avait bien essayé toutes les intersections qui s'offraient à elle. Tiraillée entre l'envie de trouver une sortie et celle de vérifier l'emplacement indiqué par le journal, elle parcourut des kilomètres, dans la hâte de voir son dilemme résolu.

Lorsqu'elle dut se mettre au sol pour passer dans une autre galerie, ses bras et ses jambes tremblaient. Elle avait soif et regrettait de s'être tant éloignée de l'escalier avec la rivière. Ses ongles étaient devenus noirs et ses éraflures boursoufflées ; le sang tapait dans chaque entaille.

La pièce dans laquelle elle avait émergé était la dernière à inspecter et elle était vide. Seules des planches brunâtres et décomposées formaient un tas friable le long d'un mur. Elo s'adossa contre la pierre fraiche, chassant la sueur de ses cheveux du revers de la main. Elle n'avait pas chaud, mais l'effort et l'humidité se disputaient tous les deux ses muscles et elle en était essoufflée.

Elo cliqua sur la montre à son poignet pour faire apparaître le minuteur : il était descendu à deux heures. Elle porta les mains à son visage, elle avait trop attendu !

Son cœur migra dans sa gorge serrée ; elle perdit son regard dans la rugosité de la roche face à elle, dont les traces laissées par les outils d'antan lui rappelaient que d'autres humains étaient passés par là avant elle. Au lieu de laisser ses pensées se faire ronger par l'angoisse, elle se plongea dans son esprit, se forçant à repasser par tous les couloirs et rassembla mentalement toutes les images qui pouvaient constituer une carte.

Sa vision se troubla et soudain, elle vit l'un des signes laissés par Philibert à un endroit qui lui parut étrange, non justifié par une intersection ou un point de repère. Toujours dans sa projection mentale, elle fit un pas en arrière. Elle se souvint avec exactitude de cette salle, grâce à sa mémoire largement photographique, qui l'avait bien servie lors de ses examens d'histoire de l'art. Elle pivota et se retrouva face à un mur.

La vision d'Elo se fit à nouveau nette alors qu'elle écartait les bras de stupéfaction.

— Ils sont passés à côté, les idiots !



Parcourant les galeries d'un pas rapide, Elo trouva le fameux mur. Tout le pan avait été refait dans une maçonnerie robuste, mais selon le journal, seule une chatière creusée par Philibert y donnait accès.

Le tout premier des cataphiles n'avait pas pu retrouver la cave des Chartreux, car, entre le moment où Aspairt avait repéré les lieux et celui où il était redescendu avec le jeune endetté, la géographie des lieux avait changé. L'accès avait été comblé. Dans la faible luminosité, les deux hommes étaient passés devant, et leur manque d'observation leur avait coûté la vie.

À l'aide de son marteau, Elo explora les pierres à coups de petits « toc, toc ». Enfin, elle repéra l'ancienne chatière.

Son visage se fendit d'un sourire. Elle tomba à genoux, n'en revenant pas. Sa joie céda bientôt la place à l'angoisse. Allait-elle vraiment percer un trou dans cette pièce d'architecture du XVIIIème siècle ?

Elle pensa au véritable patchwork historique qu'étaient les catacombes. De carrières aux XIIème et XIIIème siècles, elles étaient aujourd'hui devenues local de performances artistiques pour cataphiles créatifs, en passant par un lieu stratégique lors de la Seconde Guerre mondiale – avec ses trois bunkers allemand, français et celui des résistants, à même pas quinze minutes les uns des autres.

Mis à part son propre cadavre, Elo allait y laisser de la pierre brisée. Pourtant, elle n'avait pas le choix. Sa lampe frontale commençait à faiblir et elle était coincée d'un côté inexploré des catacombes depuis la mort de Philibert Aspairt. Si elle avait vu juste, et elle le sentait bien, se trouvait au-delà de ce mur l'ancienne cave oubliée des moines qui regorgeait sûrement de leurs fameuses bouteilles de liqueurs. Et même si le cellier ne disposait d'aucune sortie, au moins l'alcool lui tiendrait chaud pendant ses dernières heures.

Ou alors, elle pourrait mettre le feu à son t-shirt pour en faire une torche, retourner jusqu'à l'escalier inondé et tenter de remonter le courant de la rivière souterraine, dans le noir le plus complet et sans aucun repère.

Elo brandit le marteau et frappa violemment la paroi. Elle ferma les yeux, le visage fouetté par les éclats du mur. Du peu de forces qui lui restait, elle abattait la tête de métal, encore et encore ; le manche vibrait dans sa main à chaque coup. Ce dernier, d'un bois séculaire, céda.

La tête du marteau se décrocha et rebondit sur son bras. Elo poussa un cri de douleur tandis qu'elle tomba sur le côté, emportée par son élan. À genoux, elle récupéra la tête du marteau, les yeux embués de larmes. Elle se servit de sa frustration, brandie au bout de l'arrache-clou, pour déloger les dernières pierres qui s'effritèrent sur ses pieds et jusqu'à ce que l'ouverture soit assez large pour ses épaules. Malgré un hématome grossissant à vue d'œil sur l'un des bras, elle dégageait les débris à la force de l'autre. Puis, elle serra son membre meurtri contre elle et se traina sur ses hanches à travers la chatière. Il n'y avait que cinq mètres à parcourir et elle voyait déjà le bout.

Une fois de l'autre côté, elle balaya immédiatement la pièce de sa lampe. Elle vit quelques meubles écroulés sur de la terre battue. Tout était sombre et délabré.

À sa grande surprise, c'est la première goulée d'air qui lui offrit le plus d'informations.

Car ce mélange d'arômes lui était bien connu. Elle avait souvent travaillé en sa compagnie et avait même essayé de le recréer. C'était le genre de bouquet complexe qu'exhalaient certaines momies.

Heka TombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant