Chapitre 37 : Passer un savon

5 2 0
                                    

Un mètre soixante-trois de muscles apparut dans la zone lumineuse, chaussé de bottes de combat délassées et ouvertes sur des chevilles nues. Morgan s'avança sur la petite bande de calcaire rehaussée par l'érosion tout autour. Elle était parée d'une culotte tanga grise et ceinturée dans une brassière sportive du même tissu. Ses cheveux bruns dénoués étaient si longs qu'ils balayaient ses biceps de leurs fines pointes blondes encore mouillées.

L'une de ses mains soutenait une pile de vêtements – un uniforme des Chérubins, l'autre était armée d'un revolver pointé vers le bas.

— C'est moi, petite loutre.

Malgré le ton léger, Morgan s'attendait visiblement à faire une mauvaise rencontre.

Elo sortit le menton de l'eau.

— Je suis plus grande que toi, fit-elle remarquer.

— Plus haute, mais pas plus âgée, répondit Morgan dans un sourire.

Elo barbota jusqu'à la berge. Les jambes flottant vers l'arrière, ses fesses étaient remontées à la surface comme une bouée. Elle observait Morgan fouiller le tas qu'elle venait de poser au sol, jusqu'à trouver un petit galet saponifié. Elle lui tendit.

— Tu n'as pas froid ?

— Non. J'aime bien l'eau, quand elle ne monte pas, ou ne remue pas. Et quand j'ai pied. Et que je ne suis pas submergée.

Au moment où elle s'emparait du savon, Morgan entoura sa main et se pencha vers elle. Elo leva un visage pâle vers la mercenaire. Mais celle-ci lui tenait le menton, les sourcils froncés.

— Dépêche-toi, murmura Morgan d'une voix claire. Tes lèvres sont violettes.

L'esprit d'Elo s'était soudain échappé des catacombes, perdu dans les yeux de Morgan, mais elle avait trop peur de s'y noyer pour le laisser faire.

Alors ses lèvres se pincèrent dans une défiance feinte en se remémorant le début de leur échange : elle ne pouvait croire que ce petit bout de femme était plus âgé qu'elle.

— Un an ? ne put-elle s'empêcher de demander.

— Deux ans, rectifia Morgan.

Elle avait vingt-sept ans. Elo inclina la tête, jaugeant Morgan qui faisait les cent pas sur la berge. Connaître son âge la rendait plus humaine. À travers le masque de la fausse avocate et derrière la cagoule du Lieutenant des Chérubins, il y avait une jeune femme, pas beaucoup plus vieille qu'elle, mais qui semblait tout aussi perdue.

Elle s'éloigna de quelques brassées et, tout en se frottant, ses pensées cogitaient sur la situation. Rapidement, elle fut vivifiée par la fraicheur du bain.

— Et ils t'ont crue, là-bas ? s'enquit-elle en parlant du reste des Chérubins.

— Ce n'est pas la première fois qu'il y a un incident de cassoulet, répondit Morgan en enfilant son pantalon.

Personne n'avait dû poser de question quand elle était venue emprunter un second uniforme.

La mercenaire s'assit ensuite sur la berge. Elle observait Elo se rincer dans l'eau claire, tout en jetant parfois un œil à l'embranchement qui donnait sur un autre couloir.

Elo sentait son regard et ne savait si elle la contemplait, ou la surveillait ; les traits de Morgan, quoiqu'attentifs, étaient redevenus imperturbables.

Elle savonna ses cheveux plusieurs fois pour décoller la terre, le sable et les humeurs. Et lorsqu'elle émergea de l'eau, Morgan détourna aussitôt la tête. Un soupçon de sourire lissa son front. Elo se frotta le nez, suspectant un reste de morve, mais il n'y avait rien. Morgan semblait sourire sans raison.

Heka TombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant