Heka Tombe

CHAPITRE 57 : Thuriféraire

Au cœur de la « momiothèque » de l'Académie d'Heka, Elo faisait face à Morgan tout en massant sa joue gonflée.

— Si tu veux tenir tête à la Prêtrise, lui dit le chérubin, il faut que tu connaisses leurs enjeux, même s'ils te paraissent absurdes, ou irréels, ou complètement délirants. Accepte leurs croyances et seulement à partir de ce moment-là tu pourras raisonner correctement et trouver les armes dont tu as besoin. C'est comme ça que faisait Lana...

Elo retint un haussement de sourcil, conséquence inhérente à chaque mention de sa cousine. Ça ne lui plaisait guère, mais Morgan, au contact de Lana et à celui de la Capitaine, détenait sans doute une sorte de sagesse éclairée sur la situation.

— J'ai besoin de savoir ce que c'est, déjà, répondit-elle à la place.

— Tout ce que je sais, c'est qu'une poignée de chercheurs ont commencé à s'assembler, au fur et à mesure de colloques et de rencontres. En échangeant en dehors des présentations, ils se sont rendu compte qu'ils entretenaient tous un sujet de recherche parallèle, qui leur échappait, sur lequel ils n'avaient pas assez de matériel pour présenter des choses sérieuses et concrètes, que certains avaient même hérité du problème de leur directeur de recherche... mais qu'ils n'avaient ni le temps ni les ressources de poursuivre.

— Pour l'instant, ça ne me paraît pas méchant...

C'était, plutôt, le lot commun d'énormément de chercheurs.

— J'imagine que c'est le sujet qui les a rassemblés, suggéra Morgan. Mais personne ne voulait lâcher des informations qui pouvaient se révéler précieuses ou clefs dans un environnement ouvert. Ils ont donc décidé de se réunir en huis clos, dans le secret...

— Ah.

— Une manière de se protéger, j'imagine... pour divulguer leurs trouvailles, qui ne tenaient pas debout, dans un environnement de confiance.

— Et quand ils ont mis leurs pièces de puzzle côte à côte, ça a fait un beau tableau.

— Ma mère pourra t'en dire plus que moi. Je ne sais pas ce qui les anime autant. Nous ne sommes que des contractors, mais elle, elle est mêlée à leur bordel depuis très longtemps.

— Depuis combien de temps ? demanda Elo en fronçant les sourcils.

Morgan prit une grande inspiration et répondit avec un visage grimacé d'incertitudes :

— De ce que j'ai cru comprendre, depuis que ça existe. Ce n'est pas une organisation très ancienne. Peut-être aussi vieux que toi ou moi.

— Aussi vieux que toi ou aussi vieux que moi ?

La Lieutenant haussa une épaule, secoua la tête et finit par lâcher :

— Que toi, j'imagine.

Elo baissa les yeux sur ses bras croisés. Même si Morgan n'affirmait pas certaines choses, elles planaient autour de leurs méninges comme l'ombre de l'épée de Damoclès : trop d'éléments revenaient vers Elo, malgré elle.

— Tout à l'heure, avant le puits... commença-t-elle. Mes souvenirs sont un peu confus, j'étais pas mal sonnée, mais je crois que tu as parlé de Lana. Et... tu as dit que la Prêtrise avait déjà la main sur moi ?

— Je pense que ça rejoint ton intuition... acquiesça Morgan. J'imagine que c'était un secret bien gardé.

Elle pivota ensuite le torse vers la salle adjacente :

— C'est pour ça qu'il faut que tu convainques Rémie de t'en dire plus.

Elo hocha la tête, le regard désabusé.