Chapitre 7 : Danse macabre

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Lorsqu'Elo posa un pied dans les souterrains et, bien qu'il soit illégal d'y descendre, elle se sentit reprendre vie.

Finies les recherches pour sa thèse, les heures innombrables à traîner sa carcasse dans les rayons poussiéreux en quête de vieux ouvrages centenaires, obsolètes mais indispensables. Finis les connards du métro et de la rue, qui se croient les premiers à vous souhaiter la bonne journée de leur sourire carnassier, à faire un commentaire non désiré sur votre beauté, ou à vous demander de sourire. Finie l'éternelle rivalité sous-jacente avec sa cousine absente. Fini aussi de se noyer dans le travail et les études pour oublier la disparition de sa mère. Finis les appels de sa mamie qui tente de savoir si elle mange bien, si elle boit assez – d'eau – et si elle a plus de huit heures de sommeil : fini donc de mentir, sur elle, sur ce qu'elle fait ou sur ce qu'elle veut être.

Plonger vingt mètres sous terre était son seul moyen de lever le poids de ce que représentait la surface. La poussière de remblai était une bouffée de liberté. Elle avait découvert cette pratique quelques mois auparavant et augmentait déjà la fréquence de ses descentes. Il y avait tant à découvrir dans ce terreau d'histoire sauvage.

Ce soir, elle en était à sa cinquième.

Elo jeta un œil à Morgan. L'avocate était concentrée sur les consignes de Quentin, ou « Tintin » dans ces sous-sols, progressant juste derrière lui afin de ne pas en perdre une miette. Elle avait descendu l'équivalent de cinq étages d'immeuble sur des barreaux métalliques humides avec la même prudence et habileté que les autres.

La doctorante ne put s'empêcher de sourire : Morgan n'avait pas froid aux yeux malgré sa candeur.

Leur petit groupe passa dans un couloir, étroit mais haut de plafond, puis déboucha dans une espèce de rotonde. Celle-ci distribuait plusieurs chemins, tel le cœur d'un labyrinthe. Elo savait que chaque galerie promettait des kilomètres à parcourir. Au centre de l'une d'elle, quelqu'un avait aligné une flopée de bougies chauffe-plat et essayait de prendre une photo. Tintin salua le photographe, tout en s'excusant pour l'interruption, avant de s'engager dans une autre galerie.

En approchant l'embranchement suivant, ils entendirent des pas. Siana voulut immédiatement rebrousser chemin, de peur de tomber sur la brigade de police qui patrouillait quelques fois dans les anciennes carrières de calcaire de Paris, un groupe d'intervention aimablement appelé « cataflics » par les cataphiles. Mais Tintin était passé expert au jeu du chat et de la souris. Il leur fit signe de s'immobiliser, en silence. Ils perçurent alors des voix enjouées s'élever du fond du couloir. Deux silhouettes émergèrent, accompagnées de musique, crachée par une petite enceinte réputée très résistante sur les chantiers du BTP.

Quentin s'avança vers eux et reconnut un visage. Les présentations furent brèves.

— Sisi, dit Siana. Comme l'impératrice.

Morgan bredouilla une invention.

— La Fée, dit-elle avant de se tourner vers Elo.

La doctorante rougit. Dès sa première descente, les cataphiles qu'ils avaient rencontrés avaient tôt fait de remplacer le pseudo qu'elle s'était choisi : leur parlant de son champ d'études, certains avaient été fascinés ; si Bones était déjà pris, un autre surnom était tombé. Entre eux, ils l'appelaient :

— Catamomie.

Les bouches des nouveaux venus s'ouvrirent en un « oh » de stupéfaction.

— C'est toi qui cherches les momies enterrées sous Paris ? demanda l'un d'eux avant de se tourner vers son compagnon. Il paraît qu'il y en a sous la Concorde !

Heka TombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant