Ce n'est ni son accoutrement ni son absence de sac qui retarda Elo devant l'université, mais le plan Vigipirate. La large entrée, destinée à accueillir tous les étudiants à bras ouverts, était maintenant réduite à une guitoune meublée d'une table de classe, afin de recevoir les sacs pour inspection. Toutefois, les étudiants, aussi las que l'agent de sécurité doté d'un blazer tiré aux quatre épingles, ne faisaient que passer en coup de vent : ils tenaient devant eux la béance de leur sac tout en retenant le contenu de dégueuler sur le sol, la carte étudiante pincée dans leur bouche ou entre deux phalanges.
Quand vint le tour d'Elo, elle dut s'arrêter au comptoir.
- J'ai rendez-vous avec une enseignante. Angelina Moirel. En informatique.
Le gars de la sécurité, la barbe taillée de si près que son menton était couvert d'une peau de poulet, déposa un carnet sur la table.
- Là.
Des spirales torturées par de trop nombreuses manipulations pendait un stylo entouré de ruban adhésif sur un lacet de chaussure. Pendant qu'elle se penchait sur les cases à remplir, le gardien fit signe aux suivants d'avancer.
NOM - PRÉNOM - HEURE - OBJET DE LA VISITE.
Le stylo demeurait suspendu au-dessus de la première case. Elo jeta un œil au vigile qui ne semblait s'occuper que des entrants ; il y avait peu de chance qu'il lui demande une pièce d'identité étant donné le flux tendu requérant son attention.
Elle reposa le stylo.
- Voilà.
Après un rapide coup d'œil à la feuille, l'agent la laissa passer d'un hochement de tête.
Elo déglutit. Il ne lui restait plus qu'à rejoindre le bureau.
Les lacets de ses bottes trainaient sur le sol. Le ciel choisit ce moment-là pour crever. Les quelques secondes qu'il lui fallut pour traverser la grande cour suffirent à la détremper. Les habits des morts, comme des éponges, absorbèrent tout le ciel.
Elle franchit les seuils d'un pas détaché. Ces escaliers qu'elle avait tant de fois montés pour se jeter dans le fauteuil de celle qui l'avait élevée, afin de lui raconter ses malheurs. Elle franchit la volée du deuxième étage, là où elle aimait s'asseyait pour attendre la fin des cours.
À cette heure-ci, le couloir des bureaux était désert. Certains chercheurs donnaient leur premier cours de la journée, les autres n'étaient pas encore arrivés. Le silence était couvert par le martèlement de l'averse et le grincement de ses semelles.
Elle s'arrêta devant la porte qui affichait, sur une plaquette grise à la surface rayée par des traces d'usinage :
« Angelina MOIREL
Dir. Master infor. »
Sa main bandée frappa deux fois le bois beige.
- Une minute ! répondit la voix à l'intérieur.
Elo se retint au chambranle de la porte. Sa poitrine se soulevait avec difficulté sous ses vêtements qui lui collaient à la peau comme pour l'étouffer.
- Oui ? appela finalement sa grand-mère.
La main humide pressée sur la poignée, elle entra. L'honorée enseignante-chercheuse et brillante ingénieure de soixante-deux ans était absorbée par son écran d'ordinateur ; sa main tenait encore le combiné au niveau de ses cheveux auburn tissés de fils blancs. Elle tourna ses larges yeux gris soulignés par une monture à écailles vers Elo et son teint naturellement poudré vira immédiatement au vert.
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Heka Tombe
ActionAu cours d'une rave dans les catacombes interdites, Eloïse tente d'impressionner son nouveau béguin, quand Paris s'effondre. Elle est doctorante dans la grande École du Louvre, mais la réputation de sa cousine « pilleuse de tombes » menace ses rêve...