Chapitre 47 : Mésothérapie

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La balle était arrivée de biais, avait traversé le cœur, explosant la cage thoracique, avant de ressortir derrière l'épaule. Le sang s'épanchait encore, entre les bras d'Elo enroulés autour du corps de Siana. Ses larmes gonflées de remblai venaient mourir dans les dreadlocks de son amie.

- Pourquoi... ? Pourquoi... ?

Ses pleurs tuaient sa phrase à chaque convulsion. Une part d'elle, inconsciente, mais bien lucide, ne voulait pas savoir ce qui avait poussé Morgan à tirer. Leur baignade, idylle irréelle au milieu des effusions de sang, était une rémanence corrosive pour son esprit.

Le visage crispé par la peine, Elo berçait Siana. Un bref soubresaut de son cœur expira la morve et la bave sur son menton.

La Capitaine lui donna un coup de pied.

- Je ne comprends pas : pourquoi ne pas avoir gardé le Lieutenant dans ta ligne de mire ?

Elo releva doucement le nez des cheveux rouges. Sa respiration saccadée renvoyait l'image d'une enfant ayant perdu ses parents au milieu d'une rue touristique.

- Quoi... ? demanda-t-elle dans un souffle.

- Elle a tué ton amie, reprit la molosse. Pourquoi ne t'es-tu pas vengée ?

Elo la fixait sans comprendre. Tirer sur LeFay n'allait pas ramener Sisi...

La Capitaine était penchée vers Elo, les mains posées sur les cuisses dans une attitude d'écoute. Ses yeux emplis de curiosité morbide la révoltèrent.

- Mais qu'est-ce que vous voulez, à la fin ?!

La Capitaine prit la mouche. Elle se redressa, la mine renfrognée. Ses lèvres rouges en zigzag.

- Je veux que tu arrêtes de t'immiscer dans mes petites affaires.

- Alors tuez-moi ! cracha Elo.

La forte poigne de la Capitaine se referma sur sa gorge, enfonçant ses ongles dans sa peau. Elle gronda :

- Ne me tente pas, bon sang.

Une unité de Chérubins arriva soudain en trottinant. La Capitaine repoussa Elo avec une violence qui laissât paraître sa frustration. L'un des quatre mercenaires s'avança vers sa cheffe.

- On les a perdus.

La Capitaine jura, puis demanda :

- L'unité Corbeau ?

- Toujours paumés. On a perdu le contact il y a cinq minutes. Et les cataflics se rapprochent.

Lentement, la Capitaine tourna un regard assassin vers Elo.

- Je devrais te couper en rondelles et te faire bouffer par les rats pour ce que tu as fait à mes Chérubins.

- Qu'est-ce qui vous retient ? Mauviette !

Elo se ramassa un pied en plein front. Sonnée, elle trouva la force d'une dernière provocation :

- Vous avez peur de ma cousine ?

La Capitaine l'arracha au corps de son amie et la jeta au sol. Puis, elle s'empara sa cheville et la traîna derrière elle, dans le remblai inondé de sang boueux.

Elo cria, se débattit, la peau du dos s'effritant sur les cailloux. Passant les couloirs, elle ne voyait rien d'autre que des éclairs de douleur ; ne sentait rien d'autre que le goût du calcaire et du sang. La grande blonde s'empara d'un outil abandonné contre un mur. La jambe d'Elo toujours dans une main, la pioche dans l'autre, elle la surplombait. Le visage de la Capitaine était enflammé par les ampoules qui l'entouraient.

- La Prêtrise ne veut pas que je te tue. Mais je n'y peux rien, si tu succombes à tes blessures. Dans les Catacombes, une jambe brisée est si vite arrivée, n'est-ce pas ?

La poigne de la Capitaine se raffermit sur sa jambe. Elo leva des yeux plissés sur son bourreau. La pioche s'éleva au-dessus la chevelure blonde, aveuglante sous les lampes électriques. Son bras s'arma.

- Mommy... ! beugla une voix, entravée par un tissu. MAMAN !

Les yeux de la Capitaine se dévoilèrent brusquement : un bref moment où le brouillard de sa colère s'éclaircit. Un froncement de sourcils, miséricordieux, modela ses traits. L'instant d'après, son visage se figea de nouveau dans un masque de sévérité impatiente.

- Je croyais vous avoir dit de la bâillonner, bandes de crétins !

Deux mercenaires sursautèrent. Ils disparurent dans la galerie adjacente. La Capitaine rejeta avec dédain la jambe d'Elo au sol, puis fit tournoyer la pioche... qui se posa sur son épaule.

- Ficelez-la, ordonna-t-elle. Il est temps de se remettre au boulot.

* * *

Elo mangea à nouveau le sol. Un genou sur la nuque, les bras tordus dans le dos, elle pleurait dans la poussière.

- Arrête de couiner, dit le mercenaire.

Il ponctua son ordre d'un talon dans les reins, puis la somma de se lever. Elo accusa le coup en gémissant, enfouissant son visage dans le remblai.

- Si elle ne se lève pas, dit la Capitaine, traînez-la.

Les tympans d'Elo, gonflés par une crise d'angoisse dévorante, lui faisaient tout percevoir de loin. Lorsque quelqu'un s'empara à nouveau de sa jambe, il était trop tard : elle tira en vain pour la récupérer. Les mains dans son dos entravaient toutes tentatives. Elle n'était plus qu'un corps, semant, sur son chemin, du sang et des larmes.

On lui fit traverser une galerie entière, sans qu'elle ne puisse perdre conscience. La douleur et l'indifférence se disputaient son attention. Ses yeux papillotaient, les paupières de plus en plus basses. Le mercenaire la traînait, dans une image floue, mais d'un mouvement régulier.

Soudain, ils passèrent un portique. Elo crut repérer des barrettes de C4 sur les montants. Elle fut encore tirée sur quelques centaines de mètres, avant d'entendre la Capitaine ordonner la détonation. Les cataflics ne pourraient plus les suivre, ici.

L'explosion les enferma.

On la lâcha enfin. Son corps s'affaissa sur un remblai humide. Plus rien ne se passa pendant plusieurs secondes. Plongée dans le noir, elle se crut abandonnée. Alors, elle se laissa aller à fermer définitivement les yeux.

Les bourdonnements à ses oreilles s'intensifièrent. Elle flottait à la frontière de l'inconscience, mais ne pouvait y succomber complètement, torturée par les picotements de son derme à vif. Elo tremblait.

Une part d'elle mourut.

Une autre perçut la voix de Morgan.

Heka TombeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant