Alban, 9 ans plus tôt.
De retour de nos vacances en Californie, où le soleil de Venice Beach nous avait porté compagnie pendant une semaine entière, nous étions en route pour regagner Philadelphie. La nuit tombait autour de nous, et seules les lointaines paroles de la radio me tenaient éveillé pendant que mon frère dormait profondément contre la vitre. Un silence pesant enveloppait mes parents, laissant transparaître l'ennui. L'autoroute, proche de Philadelphie, était presque déserte, contrairement aux rues de la ville, assurément bondées par ceux revenant d'une épuisante journée de travail.
Alors que le trajet n'était plus que d'une demie heure et trois minutes, le moteur lointain d'une voiture attira mon attention. Elle approchait à une vitesse bien supérieure à celle autorisée. Je me souviendrai toujours de ces phares rouges arrivant vers nous l'air menaçants. À l'avant, deux adultes semblaient en pleine dispute, et je ne pouvais discerner s'il y avait quelqu'un à l'arrière. Le drame arriva quand l'homme au volant, absorbé par l'énervement, ouvra grand la bouche sur sa femme qui tentait vainement de le remettre sur le bon chemin. Mon père essaya de manœuvrer à droite, mais c'était déjà trop tard. La Volkswagen percuta notre voiture violemment, la faisant basculer. J'eus le réflexe de prendre une position permettant d'abriter mon frère. Je pressentais déjà qu'il était trop tard pour eux, trop tard pour mes parents, trop tard pour préserver leurs vies. La voiture adverse avait foncé tout droit dans le capot, éclatant le pare-brise au passage.
La peur me paralysait, m'empêchant de lever les yeux, redoutant de contempler l'avant de notre voiture. Mon frère respirait toujours, son souffle haletant contre mon torse.
Je pouvais choisir de ne jamais relever la tête, d'éviter de poser le regard sur les corps de mes parents. À mes côtés, mon frère ne laissait pas échapper des cris déchirants, mais des larmes coulaient lentement sur ses joues. Pour ma part, je n'avais même pas la force de pleurer. Un éclat de verre était fiché dans la joue de ma mère, laissant son sang dévaler cette surface. Mon père avait le crâne recouvert de ce même liquide rouge traumatique, probablement après avoir heurté le tableau de bord, à présent déformé.
Un effort surhumain me permit de sortir de la voiture. La seule vision gravée dans ma mémoire était celle d'une fille pleurant désespérément sur la banquette arrière. Ses cheveux sombres se perdaient dans la noirceur de la nuit. Elle pleurait inconsolablement, son regard fixé sur sa mère et celui que je devinais être son frère, qui me semblait vaguement familier. Mon frère, horrifié, observait la scène, sans surprise, puisque lui et le jeune garçon décédé avaient environ le même âge. Le père, la cause principale de l'accident, était presque intact, comme s'il avait miraculeusement sauvé sa vie. D'autres automobilistes s'étaient arrêtés, téléphonant sûrement aux secours...
***
L'hôpital incarne l'objet de ma plus profonde horreur aujourd'hui. L'odeur persistante du désinfectant me hante, et les vastes couloirs aux murs d'une blancheur oppressante rejettent une anxiété sourde.
Depuis l'accident, mon frère était plongé dans un silence douloureux. La jeune fille qui pleurait encore il y a quelques minutes, était assise à proximité, les yeux toujours rougis par le chagrin. Nos parents avaient été conduits en salle d'urgence, et nous venions tout juste de quitter ces salles sinistres.
La doctoresse s'approcha de nous, son visage exprimant toute la préexistante gravité des nouvelles à annoncer. Nous nous levions, mon frère et moi, pour l'entendre, bien que je n'étais toujours pas vraiment prêt mentalement à recevoir de telles paroles.
- Mes plus sincères condoléances, mais rien n'a pu être entrepris pour sauver vos parents, nous annonce-t-elle avec une froideur clinique.
J'attendais presque le moment où des personnes allaient sortir de nulle part en criant « Caméra cachée ! » pour rompre ce sinistre cauchemar. Mais aucune de ces situations comique ne vient. Je dois simplement accepter cette réalité brutale. Aucune larme ne coule, ni de mes yeux ni de ceux de mon frère.
- Quant à votre frère, Alban Johnson... il a perdu l'usage de la parole pour un certain temps. Il peut s'agir d'une semaine, de dix ans, ou jusqu'à la fin de sa vie.
Les mots résonnent, prononcés avec une telle simplicité... Les médecins, débitent ces phrases sans se mettre à nos places, ruinant ainsi la vie de milliers d'enfants.
-Vous pouvez patienter ici, on viendra vous chercher dans peu de temps, conclut-elle avant de s'éloigner.
"Patienter." Comme si je n'avais pas déjà patienté suffisamment ces dernières années. La patience est une charge lourde à porter, un temps qui s'étire. L'attente interminable devient un supplice. Le désir augmente, la frustration s'amplifie, chaque seconde ressemble à une éternité, et la patience se transforme en cruauté. Eux, les médecins, semblent insensibles à cette réalité.
Ce fut difficile, surtout lorsque je dus laisser mon frère seul après le lycée pour poursuivre mes études. À présent, maintenant que je n'ai plus 16 ans, je suis conscient que c'est ainsi que va la vie, qu'on l'accepte ou non.
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Forgotten Memory
RomanceDans le quotidien de Faith Davis, la solitude est une compagne constante, une ombre qui la suit où qu'elle aille. Elle serait prête à tout pour être aimée par les autres, mais semble toujours échapper à leur affection. Pour Alban Johnson, ce sont le...