Faith, 3 ans plus tard.
La foule est dense, étouffante presque, comme toujours en cette fin d'après-midi. Les silhouettes se croisent et se frôlent, chacun enfermé dans son propre monde. Je m'efforce de garder mon calme, de ne pas me laisser happer par l'agitation ambiante. Un samedi d'automne, étonnamment doux et baigné de soleil. L'air a ce parfum de feuilles humides qui accompagne la saison. Je me laisse guider par le tumulte autour de moi : éclats de voix, rires légers qui viennent mourir à mes oreilles avant de s'éloigner.
Je marche sans but, portée par le simple plaisir d'exister dans cet instant, loin des obligations qui pèsent parfois. L'université, les partiels... Mes pensées dérivent, insaisissables.
Et puis, au détour d'un regard, je l'aperçois. Ou du moins, je crois l'apercevoir. Un visage. Ce visage. Une fraction de seconde suffit pour que le temps se fige, que mon souffle s'accroche. C'est absurde. Ce n'est pas possible. Ce n'est pas lui.
Ma psychologue me l'a souvent répété : ce genre d'illusions est courant. Les esprits en deuil ou en manque ont cette étrange tendance à chercher ce qu'ils ne peuvent plus atteindre. C'est un mécanisme, presque banal, chez ceux qui ont perdu ou laissé s'éloigner un être cher. Elle m'a dit que ces apparitions sont fréquentes, surtout lorsque la personne en question n'est plus de ce monde. Trois ans maintenant que je ne l'ai pas vu, et voilà un an que mon esprit se plaît à me jouer des tours.
Je détourne les yeux. Ce n'est rien. Une coïncidence. Un inconnu qui, par hasard, lui ressemble suffisamment pour me troubler. Ça m'arrive si souvent que ça ne devrait plus me surprendre. Mon esprit le cherche partout, dans des traits, des gestes, des voix, jusque dans les personnes auxquelles je commence à m'attacher.
Je me remets en marche, tentant de laisser derrière moi ce moment d'égarement. Mon regard se force à se fixer sur les passants, sur leur banalité rassurante. Ce n'est pas lui, je me répète, encore et encore. Mais une part de moi hésite, toujours.
Les rues s'étirent devant moi, mais l'apaisement que j'y cherchais semble s'être dissipé. J'avance, un peu plus troublée qu'il y a quelques instants.
Puis, soudain, une main saisit mon poignet.
Je m'arrête net, mon cœur rate un battement, et un frisson glacé court sur ma peau. C'est lui. Ce n'était pas une illusion, pas cette fois.
Je me retourne, presque à contrecœur, paralysée par un mélange de peur et d'espoir. Il est là, debout, si proche que je peux percevoir chaque détail de son visage. Ses traits n'ont pas changé, mais son regard... son regard est intense, presque insoutenable. Il me scrute comme s'il cherchait à s'assurer que je suis bien réelle.
- Faith.
Il prononce mon prénom, et ce simple mot semble suffire à faire trembler les murs que j'avais mis des années à monter. Tout remonte, d'un coup : les souvenirs, les regrets, les émotions que je croyais avoir enfouies pour toujours.
- Tu...
Ma voix se brise. Les mots se coincent dans ma gorge.
- Tu m'as fait peur, murmuré-je enfin, d'un ton fragile.
Je tente un sourire, mais il est maladroit, tremblant.
- Pourquoi... pourquoi tu me suis ?
Il baisse les yeux un instant, comme s'il cherchait la réponse dans le vide, puis me regarde à nouveau.
- Je ne te suis pas, Faith. Je t'ai vue. Et je... je ne pouvais pas partir sans...
Je demeure immobile au milieu de cette foule qui ne cesse de passer, indifférente à notre présence, comme si nous étions invisibles. Personne autour ne devine ce qui se joue ici. Ils doivent simplement voir deux jeunes en train de parler, et non pas deux âmes qui, longtemps, ont cru qu'elles ne se croiseraient plus. Mais moi, je suffoque presque. Tout ça me semble trop étrange. Trop irréel.
- Pourquoi maintenant ? lâché-je. Pourquoi après tout ce temps ? Trois ans, Alban. Trois ans où tu as disparu, trois ans où tu m'as laissée croire que je devais tout oublier, et maintenant...
Il inspire profondément, comme s'il cherchait du courage, et fait un pas vers moi. Je recule à peine, déstabilisée.
- Je pensais pouvoir t'oublier, dit-il enfin, d'un ton presque désolé.
Ses mots résonnent en moi, et je devrais partir, mettre un terme à cette scène avant qu'elle ne me consume. Mais je reste là, immobile, prisonnière d'un mélange de rancune et d'un sentiment que je n'ose nommer.
- Je... je ne sais pas ce que tu attends de moi, murmuré-je.
Il s'approche encore, lentement, comme s'il craignait que je m'échappe.
- Je ne sais pas non plus, Faith, répond-il.
Un silence s'installe. Il est lourd, mais il ne me paraît pas insupportable. Puis, il murmure, presque pour lui-même :
- Mais je te l'avais dit. Je t'avais dit qu'on finirait par se retrouver.
- C'est étrange, tu sais. Je t'ai cherché partout, pendant des années. Et maintenant que je te retrouve... c'est tout sauf ce que j'avais imaginé, lui dis-je.
Son regard s'assombrit, et il semble lutter avec ses propres pensées avant de reprendre, doucement :
- Je suis désolé. Pour tout. Pour t'avoir laissée. Pour ne pas avoir été là.
Je pourrais lui dire qu'il est trop tard, que ces excuses n'effaceront rien. Mais une part de moi hésite, incapable de trancher entre le passé et cette chance qui s'offre à nous.
- Nous sommes faits pour nous perdre et nous retrouver depuis toujours et tu le sais, reprend-il. Je ne sais pas où ça nous mènera, mais... je veux le découvrir avec toi.
Le monde autour de nous semble disparaître. Plus de foule, plus de bruit, rien d'autre que nous deux dans cet instant suspendu.
- Peut-être qu'on peut essayer, dis-je enfin, presque à voix basse. Juste... voir où ça nous mène.
Il ouvre les bras, hésitant, et je reste figée un instant, incapable de bouger. Puis, presque malgré moi, je fais un pas, puis un autre. Quand il m'enlace enfin, je sens son étreinte fragile, comme s'il avait peur de briser quelque chose. Une larme glisse sur ma joue, mais je ne sais pas si c'est de douleur, de soulagement, ou simplement parce que je me sens, pour la première fois depuis longtemps, à ma place.
- On verra bien, murmure-t-il, en me serrant un peu plus contre lui. On verra bien.
Fin.
![](https://img.wattpad.com/cover/358664744-288-k581814.jpg)
VOUS LISEZ
Forgotten Memory
RomanceDans le quotidien de Faith Davis, la solitude est une compagne constante, une ombre qui la suit où qu'elle aille. Elle serait prête à tout pour être aimée par les autres, mais semble toujours échapper à leur affection. Pour Alban Johnson, ce sont le...