LXII

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Faith

Ça fait douze semaines et deux jours qu'on ne s'est plus adressé un mot. Douze semaines et deux jours à faire semblant, à jouer les étrangers, à éviter les regards et les paroles qui pourraient tout faire déborder. Cent-six jours. Mais je le sais, il ne m'a pas oubliée. Comment le pourrait-il ? Tout se lit dans ces hésitations presque imperceptibles, dans ces secondes où son regard frôle le mien avant de se détourner, précipitamment, comme si ignorer était plus simple que confronter.

Assise au fond de la classe, le crayon entre les doigts, je me perds dans le fil des souvenirs. Peut-être que ce n'était qu'une illusion, une parenthèse trop belle pour être vraie. Une erreur, diront certains. Mais ce que nous avons partagé, personne ne peut me le retirer. Et lui, malgré ses efforts, malgré ce masque qu'il s'applique à porter, je sais qu'il le sent aussi.

Mon regard, perdu sur l'horizon flou au-delà de la fenêtre, est brusquement attiré par le son de sa voix. Cette voix qui, même si elle se veut neutre, me paralyse encore.

— Davis, 49/100.

Il n'essaie même plus de mentir.

L'histoire. Ce cours qui était mon favori est devenu mon rappel de ce que j'ai laissé derrière. Mes résultats ont chuté. Je prends la feuille qu'il glisse devant moi, les doigts un peu tremblants. Et là, juste en bas, ces mots me ramènent brutalement à une autre époque.

« Viens me voir à la fin de l'heure. »

Mon cœur rate un battement. Les mots dansent devant mes yeux. Je relève lentement la tête, et nos regards se croisent. Juste une fraction de seconde, mais cette fois, il ne détourne pas immédiatement le sien. Ce moment, si bref, est suffisant pour réveiller quelque chose en moi.

Cent-six jours sans parler.

Je baisse les yeux, mais cette vague d'émotions refuse de me quitter. Une chaleur sourde, mêlée d'appréhension, monte en moi. Ai-je vraiment le droit d'espérer, après tout ce temps ? Peut-être que non. Mais malgré moi, je le fais.

J'ose.

Après près d'une demi-heure, la sonnerie retentit, mettant fin à ma torture. Mon pied, qui martelait le sol, s'immobilise enfin. La classe se vide lentement. Lorsque je me lève, c'est comme si chaque mouvement pesait une tonne. Mes jambes me portent pourtant, hésitantes, jusqu'à Alban, nonchalamment assis sur sa chaise.

Comme à son habitude, il tient entre ses lèvres le cambre de ses lunettes. Ses lèvres... des lèvres que j'ai connues de si près, que les miennes ont frôlées dans des instants qui me paraissent à la fois si proches et si lointains. Mon cœur s'emballe à mesure que je m'approche. Que va-t-il me dire ? Et pourquoi, malgré moi, une part de moi continue-t-elle d'espérer ?

Il brise le silence :

— Ça va ?

Je reste immobile, pressant mes lèvres l'une contre l'autre pour retenir une réponse. Ni un hochement, ni un mouvement de tête ne vient trahir ce que je ressens. Mon regard fuit le sien et se perd au sol.

— Tu sais pourquoi je voulais te voir, je suppose ?

Cette fois, je secoue la tête. Un soupir lui échappe, à peine audible.

— Tes résultats ont considérablement baissé ces douze dernières semaines et les examens finaux commencent dans deux jours.

Douze semaines. Il les compte, lui aussi.

— Oui, murmuré-je simplement.

Son ton se fait plus grave, plus posé :

— Les résultats pour Harvard ont été communiqués le mois dernier.

Forgotten MemoryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant