Alban
Je me mets à leur place. Oui, en effet, passer des heures devant sa copie, à réciter mécaniquement des leçons, doit être une torture. Et pourtant, je suis obligé de leur imposer cela. Je n'ai pas d'autre choix.
Parfois, je sens des regards furtifs s'élever de leurs feuilles, des yeux inquiets qui cherchent, dans les miens, un peu de réconfort, peut-être une lueur de compassion, ou que sais-je. Mais je détourne toujours le regard, incapable de leur offrir ce qu'ils espèrent.
Les deux heures s'étirent lentement, et seuls deux stylos reposent sur les bureaux. Celui de Klein, évidemment, ; il n'a sans doute rien écrit. Et, bien sûr, celui de Faith. Faith, dont les yeux me hantent depuis des jours.
Je ne peux compter le nombre de fois où elle a relevé la tête, ses yeux cherchant désespérément les miens. Chaque fois, j'ai détourné le regard, me dérobant de cette confrontation muette. Même un aveugle percevrait la tension, l'invisible malaise qui a tissé sa toile entre nous. Alors comment pourrais-je croire que Faith, elle, n'a rien remarqué ?
Je me surprends parfois à espérer qu'elle soit passée à côté, qu'elle n'ait pas saisi toute la gravité de la situation. Après tout, ça fait deux jours qu'elle ne m'a pas contacté. Mais au fond de moi, je sais que son père a dû trouver les mots justes après ce qu'il s'est passé.
Je secoue la tête, comme pour chasser ces pensées qui tournent en boucle dans mon esprit. Plus j'y réfléchis, plus je sens que tout ça m'effondre, me consume. J'aimerais lui parler, trouver les mots pour tout lui expliquer. Mais je sais que, face à elle, les mots me trahiraient. Ils resteraient bloqués dans ma gorge, incapables de franchir la barrière de mes lèvres.
Soudain, le téléphone posé sur mon bureau vibre, brisant le silence oppressant de la pièce. Un léger sursaut traverse l'assemblée d'élèves ; tous lèvent brièvement la tête, sauf moi. Mon regard se fixe sur l'écran, un message y apparaît : "Madame Wilson souhaite vous voir à 14h. Faites monter Faith également."
Je retiens un soupir et inspire profondément, tentant de garder mon calme. Mes yeux dérivent instinctivement vers la silhouette de Faith, toujours penchée sur sa copie. Elle semble plongée dans une relecture minutieuse, comme si elle n'avait aucune idée de ce qui se prépare. Comme si tout était normal.
Lorsque les deux heures s'achèvent, les élèves commencent à rendre leurs copies et quittent la salle un à un. Faith, fidèle à elle-même, est la dernière. Elle avance doucement vers mon bureau, mais elle ne me regarde pas en posant sa feuille.
- Faith, dis-je d'une voix qui se veut neutre, mais qui vacille malgré moi.
Elle relève enfin les yeux, et dans ce bref instant où nos regards se croisent, je vois cette lueur d'espoir qui brille encore au fond de ses prunelles. Une étincelle qui me déchire le cœur, car je sais qu'elle ne tardera pas à s'éteindre.
- Je... J'ai été convoqué dans le bureau de la directrice, à quinze heures.
L'espoir vacille, vacille... puis s'effondre. Je le vois, ce voile de tristesse qui s'abat sur ses yeux.
- Oh.
Ce même "oh" qu'elle avait murmuré lorsque je suis rentré cette nuit-là.
- Tu devras t'y rendre, toi aussi, ajouté-je. Juste après moi.
Elle hoche la tête en silence, puis tourne les talons. Sans un mot de plus, elle quitte la salle, me laissant seul.
Je me retrouve quelques heures plus tard devant la porte massive du bureau de la directrice. Une sensation désagréable me noue l'estomac. Ma main hésite un instant, suspendue dans l'air avant de frapper doucement. Une voix sèche me parvient, me donnant l'autorisation d'entrer.
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Forgotten Memory
RomanceDans le quotidien de Faith Davis, la solitude est une compagne constante, une ombre qui la suit où qu'elle aille. Elle serait prête à tout pour être aimée par les autres, mais semble toujours échapper à leur affection. Pour Alban Johnson, ce sont le...