Rhys était soulagée de constater que ses amis ne la regardaient ni avec peur ni pitié. Elle essuya le sang comme elle put sur ses vêtements, étalant un peu plus les tâches noires.
Elle cacha ses tremblements en rajustant son sac sur ses épaules.
– Ne trainons pas ici. Ses copains vont pas tarder à se rameuter.
Thomas était de son avis. Il n'avait qu'une envie, remonter à la surface, peu importe ce qu'il trouverait là-haut.
– Je veux continuer le chemin en ville. Hors de question qu'on reste une minute de plus ici.
La chaleur lui lécha le visage avec vigueur, comme si elle lui avait manqué.
Rhys émergea de la plaque d'égout en plissant les yeux. La forte luminosité lui brûlait les rétines, comme à chaque fois qu'elle se retrouvait dehors. Sa vision mit un temps à s'adapter, puis elle put enfin détailler le squelette des immeubles qui les entourait.
La rue était déserte. La chaleur faisait fuir même les plus cinglés des fondus. Elle apportait aussi une puissante odeur de décomposition et l'amplifiait. Ça sentait la mort. Cette puanteur vous prenez aux tripes et vous retournez l'estomac. Une fois que vous l'avez en narine, impossible de s'en débarrasser.
Alors qu'ils longeaient l'ombre des bâtiments, Rhys avisait les montagnes de carcasse humaine gisant au milieu de la route. Les plus fraiches tout en haut. Les plus vieilles ensevelis sous les derniers morts. Le chant des mouches qui tournaient autour. Les peaux grises, flasques, trouées. Des membres qui jaillissaient ici et là. Un crâne sans yeux. Un pied sans jambe.
Elle ne retint pas son haut-le-cœur et vomit son dernier repas. Elle n'était pas la seule à ne pas supporter la vue et l'odeur. Thomas rendit également son déjeuner. Brenda, habituée à ces conditions, attendit patiemment qu'ils aient vidé leur estomac avant de reprendre la route.
Rhys détourna son attention vers la chaussée. En fait, à part les corps, cette ville ressemblait à la précédente. Pas un signe de vie en vue. La population se cachait dans les recoins d'ombres qu'offraient les vétustes immeubles.
Elle repensa à l'homme qu'elle avait tué quelques heures plus tôt, et ses pensées se gelèrent. Le givre recouvrait lentement son cerveau à mesure qu'elle réfléchissait, glaçant peu à peu ses os.
Ce qui la terrifiait, c'était cette absence de culpabilité. Elle avait assassiné un homme qui était déjà condamné, qui allait mourir, avec ou sans son intervention. Mais tout de même. Elle aurait dû ressentir de la peur. Ou n'importe quelle émotion, mais surtout pas cette indifférence. Elle devrait avoir peur d'elle-même. De constater qu'elle était capable de commettre un meurtre. Alors pourquoi aucun sentiment ne la tourmentait ? Au lieu de ça, elle était soulagée de ne pas être perturbée par le remord.
C'était peut-être ça, le pire. Le plus angoissant. Les paroles d'Etyca lui revinrent en mémoire. Et si elle avait raison ? Peut-être que Rhys était un monstre. Qu'est-ce que ça changerait ? Elle n'était, de toute façon, pas connu pour sa douceur et ses câlins. Elle était impulsive, violente et insolente. Cela faisait-il d'elle un monstre ?
Elle ne voulait pas en être un. Mais elle savait qu'elle ne reculerait devant rien pour protéger ses amis. Quitte à perdre son humanité...
À la tombée du jour, Brenda les entraina dans un cul-de-sac. Elle ouvrit la portière avant d'une camionnette et s'installa à l'intérieur comme si elle savait depuis le début où ils allaient passer la nuit. Les blocards la suivirent sans discuter. Thomas s'assit à côté de la brune, côté conducteur, tandis que Rhys trouva refuge sur les banquettes arrière. Le véhicule ne payait pas de mine. La mousse et les réhausseur dégoulinaient des sièges à certains endroits et le tableau de bord avait été pillé, comme en témoignaient les câbles pendent tristement. Il n'y avait plus ni volant, ni pédale, permettant à Thomas de s'installer plus confortablement. Cette ruine n'était plus en état de marche, mais elle ferait l'affaire pour cette nuit.
Rhys se déchargea de son sac, qu'elle déposa au pied de son fauteuil, tandis qu'à l'avant, Brenda sortait déjà de quoi manger. Malgré leur estomac vide, le coureur et la medjack n'étaient pas en mesure d'avaler quoi que ce soit.
De là où elle se tenait, Rhys pouvait observer Thomas. Il fixait la rue devant lui, le regard absent. Son visage rougie par le soleil avait perdu de ses couleurs.
– On a tué cet homme... déclara-t-il soudainement d'une voix blanche.
C'était la première fois que l'un deux prenait la parole depuis qu'ils avaient abandonné le fondu dans la petite pièce.
Rhys détourna les yeux de son ami. Elle ne souhaitait pas voir son expression se peindre de dégout et d'effroi en repensant à ce qu'elle avait fait.
– J'ai tué cet homme, le corrigea-t-elle en appuyant sur la première syllabe.
– Et si elle ne l'avait pas fait, compléta Brenda, on serait mort à l'heure qu'il est.
– Et je te rappelle qu'il était au bout du rouleau.
– Ça restait un être humain, s'indigna Thomas en pivotant vers elle.
Rhys soutint quelques secondes son regard, avant de glisser ses iris vers la vitre décharnée qui débouchait sur le mur d'un immeuble.
– Désolée. C'est juste... plus facile de déshumaniser la victime pour ne pas se sentir inhumain.
Thomas baissa les yeux.
– Je trouve plutôt que c'est en déshumanisant la personne qu'on devient inhumain.
Un silence glacial s'abattit entre le trio comme un couperet. Brenda en avait assez de cette absence de dialogue qui les accompagnait depuis le début de leur aventure en solo.
Comme si Thomas avait senti la tension, il changea de sujet.
– Vous pensez qu'on va les retrouver ? Jorge et les autres.
– Un homme entouré d'un essaim d'ado, ça ne passe pas inaperçu, le rassura la brune.
À l'arrière, Rhys s'allongea sur le flanc et parmi la réserve de boite de conserve que contenait son sac, elle fit dépasser un bout de la peluche de Winston. Elle se mit à triturer les ficelles pour occuper son esprit pendant que ses amis discutaient à l'avant.
– Parle-nous un peu de toi. Pourquoi t'as atterri ici. Comment t'as rencontré Jorge.
– C'est une longue histoire.
Thomas jeta un œil au ciel qui s'assombrissait à chaque minute par-dessus le pare-brise.
– Je crois qu'on a tout le temps pour ça.
Il esquissa un sourire maladroit, qui contamina la fondue.
– Et bien... dès qu'on m'a diagnostiqué la braise à un centre de dépistage, Wicked m'a envoyé ici.
– On dirait bien qu'ils ont la main sur tout ce qu'il se passe ceux-là.
– Cette organisation, c'est un peu la dernière forme de gouvernement qu'il nous reste. Après les éruptions, il y a une dizaine d'années, tous les pays équatoriaux ont été rayé de la carte. Les survivants se sont réfugiés dans les régions du nord. Les gouvernements restant ont fusionné et Wicked est né. Au départ, ils étaient l'espoir que tout redevienne comme avant. Et puis la maladie est sortie de nulle part et s'est très vite répandue. Wicked nous a promis un vaccin. En attendant, ils trient minutieusement la population saine de la population contaminée. Ils éjectent les gens comme nous dans des endroits comme celui-ci pour nous laisser de mourir de la maladie.
– On est où, exactement ? se demanda Thomas.
– On doit être aux alentours du Mexique d'après les étiquettes sur les boites de conserves.
Après cette indication, le silence retomba dans l'habitacle. Le garçon jeta un œil à l'arrière. Il observa le visage endormi de Rhys. Un bras sous sa tête, l'autre tenant quelque chose dans ses mains. La poupée de chiffon.
Brenda gigota sur son siège pour se tourner vers l'arrière. Ainsi, les deux adolescents regardaient la troisième plongée dans un sommeil mérité.
– Wicked a tué mon père, reprit la brune. Alors, si vous comptez leur faire la peau, je suis avec vous.
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- Le Labyrinthe - Fanfiction -
FanfictionVous connaissez tous l'histoire, vous venez de la lire, ou de la regarder. Ou bien vous l'avez lu ou regardé il y a longtemps, et vous êtes nostalgique de cette époque. Je vous invite à replonger dans cette univers tout droit sorti du génie de James...