Chapitre 30

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Trois jours plus tard, Aïssa et Satsuki attendaient au port de Busan avec une mallette à la main. Le soleil ne s'était pas encore levé et les premières brises du matin frais fleurtaient avec leur nez.

Les hommes d'Aïssa se tenaient à quelques mètres, surveillant les lieux.

Aïssa tremblait. Elle venait de réaliser qu'elle allait agir en tant que cheffe de gang et mettre à exécution les différentes tâches stipulées sur son contrat. La femme inspira et expira, luttant contre ses démons intérieurs.

Quelques jours plus tôt, l'un des hommes d'Aïssa lui rapporta que Giulia devait intercepter un colis d'une valeur inestimable. Le deal était prévu depuis plus d'un mois. L'homme ne pouvait pas se présenter à la place de la patronne du gang. Aïssa enregistra l'information et assura de prendre la relève.

Au loin, une voiture noire se gara sur le parking. Une femme avec un long manteau en cuir marron et deux gardes du corps - deux femmes -, se dressèrent devant Aïssa. Pas loin, d'autres femmes armées et véhiculées surveillaient la place.

La femme, une Coréenne, portait un chapeau noir et des cuissardes assorties. Elle retira son masque chirurgical et afficha une mine décontractée. Elle paraissait plus jeune que son âge mais quelques cheveux blancs tombaient sur ses épaules.

— Aïssa ?

— C'est moi, confirma-t-elle.

— Enchantée, je m'appelle Chungha, cheffe du gang Jayu, se présenta-t-elle en anglais.

— Liberté ? lança Aïssa dans un coréen parfait.

 Oui, Jayu veut dire liberté ! répondit Chungha avec entrain dans sa langue maternelle. Nous sommes un gang de femmes et nous avons choisi d'être libres ! Tu parles bien coréen !

— Merci.

— J'ai reçu l'appel de ta femme de main. As-tu l'argent ?

Aïssa fit signe à Satsuki de lui remettre la mallette. Chungha ne prit pas le temps de jeter un coup d'œil à son contenu et la confia à l'une de ses gardes du corps.

— Tu ne comptes pas ? demanda Aïssa, surprise.

— Non, j'ai toujours fait confiance à Giulia ! Si tu ne le sais pas, je suis une de ses alliées.

— Quand allons-nous recevoir la caisse ?

— Dans quelques jours, j'ai envoyé les armes dans un conteneur. A Incheon, vous recevrez ce qu'il faut !

— Très bien, merci, formula Aïssa, la voix tremblante.

Chungha exhiba une mine sévère. Elle savait qu'Aïssa était absente. La disparition de Giulia en était la cause et le fait de reprendre son affaire la rendait mal à l'aise.

Chungha, outrée, leva la main sur elle et la gifla de toutes ses forces. Satsuki dégaina son arme aussitôt en même temps que les deux gardes du corps de Chungha.

— Tu vas te ressaisir et vite ! rugit-elle.

Satsuki attendait l'ordre de tirer, elle n'appréciait pas ses manières mais Aïssa lui baissa le bras.

— Giulia était notre source d'espoir et d'inspiration ! Une femme complètement libérée ! relata Chungha. Elle tenait par les couilles ce petit con de Minseok ! Tu es celle qui lui succède, tu dois lui faire honneur et gérer son business ! Si tu ne te ressaisis pas, ton empire va s'écrouler ! Tu as des bouches à nourrir, des personnes à entretenir et du matériel à surveiller ! Oh ma p'tite, tu n'as pas le temps de pleurer !

— Tu as raison, admit Aïssa, en se caressant la joue.

— Ne laisse pas le gang des Princes de Séoul te briser ! clarifia Chungha, en tapant sur l'épaule d'Aïssa. Ici, on les appelle comme ça parce que ce sont des tricheurs ! Cependant, la tendance a changé. On sait que Giulia a affaibli Minseok, tu as le temps d'agir !

— J'ai peur de ne pas être suffisamment à la hauteur, avoua Aïssa.

— J'ai 63 ans et j'en ai vu des petites comme toi qui se faisaient dessus et qui mourraient direct ! Il faut affronter la mort chaque jour, c'est la réalité de notre monde ! Tu dois constamment penser que tu n'as pas été choisie pour rien !

— Je suis impressionnée, Eonni*, se prosterna légèrement Aïssa. Tu es admirable !

— Si tu as besoin d'aide, je viendrai ! Minseok a attaqué les Crânes d'une façon odieuse, il ne mérite pas de s'asseoir sur le trône. Je considère qu'il a usurpé un titre qui ne lui revient pas ! Il pense être le roi mais c'est faux.

Aïssa serra la main de Chungha et l'observa quitter les lieux.

Satsuki escorta Aïssa jusqu'à l'un de ses hommes ; son chauffeur.

Les deux femmes s'installèrent et échangèrent.

— Chungha n'est pas méchante, mais elle est trop impliquée !

— Ce n'est pas grave, elle a sa manière de motiver les gens, sourit Aïssa qui se caressait encore la joue.

— Minseok la craint ! Elle est connue à Busan pour fournir les armes, c'est son business et elle est aussi la reine de cette ville. Si jamais tu n'es pas réglo avec elle, tu peux faire une croix sur ta vie.

— Sérieux ? La reine de Busan ? se redressa Aïssa, admirative. Giulia n'avait qu'elle comme alliée ?

— Elle a en d'autres ! clarifia Satsuki. Chungha est de notre côté, c'est une très bonne chose pour nous ! Dès que tu te sentiras prête à contacter Minseok, on fonce ! On pourrait avoir le soutien de Chungha !

Aïssa sentit une sensation agréable parcourir son dos puis elle repensa à Minseok.

— Je pensais qu'il allait me contacter en premier, s'accabla Aïssa, me dire qu'il venait de capturer Juhee et me faire du chantage, je ne comprends pas pourquoi il met du temps à réagir...

— Je pense qu'il n'est pas encore prêt, comme je te l'ai dit Giulia a bien géré son coup en réduisant le nombre de ses hommes ! Il doit se préparer à tout ! N'oublie pas aussi une chose, il est fier !

— C'est vrai. J'espère que Juhee va bien... s'ouvrit Aïssa, inconfortablement.

— Espérons ! Concernant les armes, une partie restera dans nos bases et le reste sera revendu. Je vais gérer la gestion du colis, conclut Satsuki.

Aïssa soupira et dévia son regard vers le ciel. Elle pensait à Kel de moins en moins, trop prise par le stress de gérer un gang. Cependant, son fils demeurait toujours sa priorité.

Note* : Eonni signifie "grande soeur". Ce terme est utilisé par une femme qui a une relation proche avec une femme plus âgée qu'elle. Cette appellation fonctionne aussi dans un contexte où les deux locutrices échangent de manière informelle afin de marquer le respect.

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