XLVI. Eclats

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L'eau dévalait le corps de Jordan qui appuyait ses bras contre le mur. Leur avion était dans quelques heures à peine. Gabriel était déjà prêt à partir mais Jordan avait pour habitude de passer des heures sous la douche et il semblait que malgré leur retard, il n'allait pas en faire une exception. Il avait toujours aimé ce temps sous l'eau , lui permettant de ressasser ses pensées, de réfléchir calmement, seul. Il repensait aux mises-en-gardes de l'homme de la soirée en Sibérie. Après avoir tourné et retourné dans sa tête ses paroles, il était convaincu que cette histoire allait beaucoup plus loin qu'un simple vol du tableau. Et, il se demandait quel rôle ils avaient à jouer dans cette histoire. Il fallait être prêt à tout pour trouver ce tableau. Jusqu'ici le maximum qu'il avait eu à échanger était Gabriel. Il l'avait sacrifié un nombre incalculable de fois pour sauvegarder ses intérêts personnels.

Mais est-ce qu'il serait prêt à le refaire maintenant ?

"Jordan, tu te dépêches ?" tambourina Gabriel à la porte, stressé qu'ils ratent leur avion. Jordan coupa instantanément l'eau et sortit de la douche. Il se sécha rapidement les cheveux et mit son costard habituel. Ses affaires étaient déjà faites, Gabriel l'attendait dans la voiture. Il se dépêcha de le rejoindre en fermant la porte derrière lui.

"Tu sens bon..." le complimenta Gabriel en touchant brièvement les cheveux de Jordan alors que ce dernier démarrait la voiture. Gabriel n'avait pas dormi de la nuit, recherchant tout ce qu'il avait pu sur cette histoire de billet. Son manque de sommeil le rendait très nerveux, ce qui expliquait son attitude anxiogène envers Jordan. "J'ai trouvé le contenu de la marchandise : des barres d'acier galvanisées. Mais sous le nom de chargement Triptyque. Ce qui nous ramène à notre tableau, je pense que ça a servi à masquer la véritable nature de l'échange." expliqua Gabriel. "Mais Triptyque, ça veut dire trois tableaux, non ?" demanda Jordan, fixant la route. "C'est le détail que je n'arrive pas à saisir. Peut-être qu'il y avait trois peintures différentes ?" suggéra Gabriel. "Peut être, mais un triptyque normalement c'est trois pièces qui vont ensemble, qui sont liées par leur essence. C'est tout le principe." objecta Jordan, perplexe. Gabriel soupira. "En tout cas on n'est pas sortis de l'auberge." s'irrita-t-il avant de s'enliser dans son siège. "Je peux prendre ta veste ? J'ai froid." demanda timidement Gabriel. "A la seule condition que tu ne me la plisses pas, le gars du pressing m'a dit qu'il avait rarement vu une veste aussi froissée." exigea Jordan, d'un ton faussement mécontent. "Promis, juré." annonça Gabriel solennellement.

Arrives à l'aéroport, ils déposèrent la voiture et prirent plusieurs avions pour retourner vers la France jusqu'à Saint-Etienne. Léonardo leur avait trouvé une maison de location de dernière minute grâce à ses contacts. Gabriel était étonné qu'il ne pose pas plus de questions sur l'avancée de leur enquête mais se convainquit qu'il leur faisait probablement confiance. Après avoir déposé leurs affaires, ils choisirent de déambuler dans Saint-Etienne pour en apprendre plus sur la ville. "En fait à la base c'est une ville qui s'est beaucoup développée pendant la Révolution industrielle. Elle était spécialisée en métallurgie grâce à l'exploitation des mines de charbon. Au début du vingtième siècle, c'est elle qui domine l'industrie de l'arme grâce à sa manufacture. C'est dingue, non ? Aujourd'hui, tout a changé, elle est surnommée la "Capitale du design" et fait partie des villes créatives de l'UNESCO. C'est une ville avec une forte culture artistique. J'ai vu qu'il y avait beaucoup de musées d'art." récita Gabriel, après s'être renseigné. Les cris de la ville leur rappelèrent que contrairement en Russie, ils étaient connus de tous ici, rendant leur tâche encore plus ardue. Ils se faisaient arrêter toutes les cinq minutes par des individus désagréables et insistants. Gabriel trouva quelques autres détails superficiels sur la ville mais cela ne suffisait pas à trouver une piste concrète.

"Ça ne nous aide pas beaucoup franchement. Comment savoir par où commencer ?" demanda Jordan, dépité. "Déjà, il faudrait comprendre pourquoi tout le monde veut autant de ce tableau. J'ai vu qu'il y avait une exposition saisonnière consacrée à Lippi. Je suis sûr qu'on peut obtenir une visite privée. Je mettrai ça sur la note de Léonardo." proposa Gabriel tout en saisissant son téléphone pour appeler le musée. Jordan le trouva légèrement culotté, mais se garda de le lui dire, n'ayant pas de meilleure initiative.

Une heure plus tard, ils se retrouvaient accompagnés d'une vieille dame guide. Jordan soupira un grand coup. Il pensa qu'il ne devait sûrement rester qu'elle. Il était persuadé qu'elle était incompétente pour une raison qui lui échappait. Voyant son désarroi, Gabriel ne pût s'empêcher de lui donner un coup de coude pour qu'il arrête de prendre une mine aussi boudeuse. Malgré le fait qu'elle ait reconnu les deux figures politiques, elle fit de son mieux pour rester professionnelle. « Lorenzo Lippi est un personnage assez mystérieux du monde artistique. Nous savons qu'il a passé sa vie en Florence. C'est là qu'il a réalisé son tableau mythique L'Allégorie de la Simulation. » expliqua-t-elle.

Gabriel attira immédiatement l'attention de Jordan à la mention du fameux tableau. « Et vous avez réussi à vous le procurer jusqu'ici ? » interrogea Gabriel, innocemment. La dame esquissa un sourire. « Pas exactement, non. Ce tableau est l'un des plus grands mystères du monde de l'art. Il y a quelques années, il a été transporté depuis Angers pour l'exposer au Louvre. Mais malheureusement, il n'est jamais arrivé à bon port. Le camion a disparu des radars, emportant avec lui le chauffeur et le tableau. » dévoila-t-elle. « La piste du vol est la plus plausible à ce jour, mais faute de preuves, la police n'a pas été capable de remonter à qui que ce soit. Ça pourrait être n'importe qui. En tout cas, c'est ce qui a fait entrer Lippi dans la légende. Le mythe raconte que le tableau est maudit. Il a été retrouvé il y a de cela deux ans avant de redisparaître aussi mystérieusement qu'il était réapparu. » continua-t-elle. « Comment a-t-il été retrouvé ? » interrogea Jordan, curieux. « Une enchère illégale en France, rassemblant des membres de mafia, des grands collectionneurs et des riches héritiers. Mais il s'est passé la même chose, au moment du transport, silence-radio puis disparition. » répondit-t-elle neutre.

Ils s'avancèrent dans une salle sombre où un tableau unique trônait au centre de la pièce, éclairé exclusivement par un halo de lumière mystique provenant du plafond. « Voilà la deuxième grande peinture de Lippi, L'Allégorie de la musique, confiée il y a quelques semaines par un donateur anonyme. » présenta la femme. Elle se mit à analyser le tableau qui était emprisonné dans une cage de verre en leur expliquant chacun de ses détails. Elle semblait passionnée par son travail. Gabriel l'écoutait attentivement, mais il était plus difficile pour Jordan de tenir en place, tant ce mystère le travaillait. Gabriel, sentant son inquiétude, prit sa main, pour le calmer et lui donner un point de repère. Jordan fut surpris mais se laissa faire, attentif aux regards qui pouvaient se poser sur eux, mais ils étaient seuls avec cette femme qui était bien trop occupée à parler de son tableau pour les surprendre. Dès qu'elle se retourna, Jordan lâcha instinctivement sa main, grenat.

Ils sortirent du musée, sans aucune nouvelle piste, attendant devant le bâtiment, le temps qu'un taxi arrive pour les ramener chez eux. Ils étaient abordés par plusieurs personnes ce qui s'avérait être très éprouvant pour eux deux. La foule bruyante autour d'eux les étouffait. Soudain, un cri perçant terrassa le brouhaha incessant de cet amas. Une femme sortit en vociférant.

Elle hurlait au voleur, à bout de souffle. Jordan et Gabriel se regardèrent brièvement avant de se précipiter à l'intérieur du musée. Au fond, ils savaient déjà.

Ils entrèrent dans la salle obscure. Des milliers d'éclats de verres scintillaient grâce à la réflexion de la lumière depuis le plafond.

Une deuxième allégorie de Lippi avait été volée, sous leurs yeux. 

Un point partout (Attal x Bardella)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant