LXVIII. Course

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Il faut qu'on parte Jordan, soupira Gabriel, la voix tremblante. Sinon on va finir comme Juan...

Tu devrais savoir comment on est censé s'échapper, non ? T'as intérêt à nous sortir d'ici en un seul morceau, rétorqua Jordan, amer, ne montrant pas une once de compassion ni de sympathie à son égard.

Gabriel se releva aussitôt en prenant sa main pour le tirer et courir dans la forêt. Jordan s'étonna, c'était comme s'il venait de se transformer devant ses yeux. Il se revoyait à travers lui, se refermant sur lui-même, cachant ses sentiments pour se protéger. Et sa réaction n'annonçait rien de bon.

Jordan recevait en pleine face toutes les branches que Gabriel écartait d'un coup de bras. Il ne portait aucune attention à lui, cherchant simplement à répondre machinalement à l'ordre que lui avait donné Jordan. Ce dernier observait avec attention l'homme qu'il avait cherché durant des mois. Sa nuque était couverte de cicatrices et d'hématomes, et ses bras dévoilaient des plaies à peine refermées, pouvant se rouvrir d'une simple friction. Il semblait usé, différent de toutes les autres fois où il l'avait approché. Il était devenu méthodique, précis, résistant, endurant. Rien à voir avec le Gabriel délicat qu'il avait rencontré, comme s'il avait cherché à détruire cette partie de lui qu'il avait dévoilée à nouveau quelques minutes plus tôt.

Gabriel rechargea son arme et commença à tirer en direction du sniper dans l'espoir d'au pire le déstabiliser ou d'au mieux le tuer pour qu'ils puissent s'arrêter une seconde. Des gouttes de sueur coulant le long de leurs fronts, cela faisait déjà quelques minutes qu'ils couraient à toute vitesse, leurs respirations devenant de plus en plus lourdes. Jordan et Gabriel finirent par trouver un immense arbre où ils pouvaient se cacher quelques minutes pour retrouver leur souffle.

Depuis quand est-ce que tu cours aussi vite ? murmura Jordan à bout de souffle, se remémorant un Gabriel complètement différent de celui qu'il avait en face de lui.

J'ai juste fait ce qu'on m'a dit, répondit mécaniquement Gabriel en rangeant son pistolet dans sa poche. Je fais toujours ce qu'on m'ordonne de faire. J'avais une mission à accomplir, elle est accomplie. Branco est mort. Maintenant je dois sortir d'ici.

Jordan fronça les sourcils, une expression de colère s'installant de nouveau sur son visage. Dans la rage, il prit Gabriel par le col tout en pointant son arme sur son menton, prêt à le tuer.

Ça t'amuse ? Ça t'amuse de me faire souffrir ?, s'exclama Jordan, en serrant les dents, retenant sa colère qui aurait pu le condamner à des actions qu'il regretterait plus tard.

Mais venge-toi, tue-moi si tu veux, je n'attends que ça. J'ai rempli ma mission, c'est tout ce que j'avais à faire. Je ne suis qu'un engrenage d'un système qui te dépasse totalement. Il y en a des centaines pour me remplacer. Alors tu peux me tuer maintenant, mais quelqu'un d'autre reviendra pour me venger. Une quête incessante, jusqu'à ce que tu y passes à ton tour. Nous sommes liés Jordan, tu dois le comprendre, si je meurs, tu meurs. Si tu meurs, je meurs, lui dit froidement Gabriel, à quelques centimètres de lui.

Et pourquoi tu mourrais si je mourrais ?, demanda Jordan son ton empli d'une frustration l'empêchant de voir où Gabriel voulait en venir.

Gabriel esquissa un faible sourire avant de le regarder intensément. Ses yeux brillants, dans lequel seul le chaos autour d'eux se reflétait, troublaient Jordan au point où il lâcha sa prise. Alors que Gabriel s'apprêtait à dire quelque chose, des bruits indistincts se rapprochaient de plus en plus d'eux.

Des aboiements...?, souffla Jordan avant que Gabriel lui reprenne la main pour continuer à courir.

Quelqu'un les poursuivait. Quelqu'un voulait leur mort. Ou au moins leur voler leur liberté. Après plus d'une dizaine de minutes de course, l'air commençait à manquer à Jordan. L'effort brouillait sa vision, son coeur battait à tout rompre dans ses tympans. Epuisé, il fut incapable d'éviter une racine et chuta douloureusement au sol. Gabriel, qui le tenait fermement, sentit sa main quitter la sienne et se retourna aussitôt.

Imbécile, ne t'arrête pas pour moi. Vas t'en !, s'écria Jordan dans une expression de souffrance.

Sans répondre, Gabriel se pencha vers lui pour le soutenir et l'aider à le relever.

Qu'est-ce que tu... Arrête, je n'ai pas besoin de ton ai-

Jordan émit un gémissement de douleur sans réussir à se mettre debout. Sa cheville avait été impactée par la chute, l'empêchant de courir. Alors qu'ils pensaient avoir réussi à échapper aux bruits qui les traquaient, il entendit les aboiements s'approcher de plus en plus rapidement.

Vas-t'en je te dis, laisse-moi ici, sauve-toi, ordonna Jordan, le regard suppliant.

Alors qu'il s'apprêtait à répondre, Gabriel aperçut au loin deux hommes et un chien qui se précipitaient vers eux. Aussitôt, Gabriel sortit son pistolet de poing et commença à tirer sur eux avec précision. Il réussit à toucher le chien mais l'un des poursuivants en profita pour se jeter sur lui et l'immobiliser. Gabriel se débattit, avant de lui mettre un puissant coup dans la mâchoire, qui le propulsa en arrière. Sans hésiter, Gabriel lui tira une balle en plein cœur, déchirant le silence, faisant sursauter Jordan qui les regardait de loin, toujours immobilisé au sol, essayant d'attraper son arme pour se défendre.

Gabriel se retourna aussitôt pour voir l'autre homme se jetant sur Jordan qui le repoussait de toutes ses forces. Il fonça sur eux et tua l'homme d'un coup de feu net dans la tête. Le sang éclata sur le visage de Jordan, si proche de cet homme qui s'écroula sur lui. Gabriel le rejoignit pour écarter l'homme en le jetant brutalement sur le côté. Jordan tremblait, sous le choc de la scène qui venait de se dérouler devant lui. Il était terrifié et regardait Gabriel, à la recherche de la douceur qu'il incarnait autrefois. Mais son air dur ne fit qu'empirer son angoisse.

Je ne peux pas te laisser, je te l'ai déjà expliqué, déclara Gabriel, son regard s'adoucissant finalement alors qu'il aidait Jordan à se relever.

Visiblement c'est devenu une habitude, rétorqua Jordan d'un ton amer en regardant avec horreur les cadavres tout en s'appuyant sur Gabriel.

C'est la première fois que je tue. Mais c'était eux ou nous, alors j'ai fait ce que j'avais à faire. Je ferai tout pour qu'on sorte vivant d'ici, expliqua Gabriel d'un ton monotone. Je crois que c'est vraiment pour notre bien cette fois. Il y eut un court silence. Tu te sens comment ?, demanda Gabriel, l'air inquiet.

Ça pourrait aller. J'ai de la chance, je me suis juste tordu la cheville. Je peux déjà recommencer à marcher normalement. Tu peux arrêter de me tenir, souffla Jordan, essayant de se remettre de ses émotions, reprenant l'attitude désagréable et détachée qu'il adoptait depuis la mort de Branco.

Je ne te lâcherai pas, murmura Gabriel en reprenant la main de Jordan pour continuer à marcher dans la forêt interminable qui se déroulait devant eux.  

Un point partout (Attal x Bardella)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant