XIV. Retour à la réalité

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Emmanuel Macron prenait son café dans le Palais de l'Elysée, comme tous les matins. Il ne pouvait s'empêcher de repenser à son annonce le soir des élections, toujours incertain d'avoir pris la bonne décision. Il réalisait qu'il avait mis en péril sa carrière ainsi que son parti et aucune porte de sortie à cette situation désagréable ne lui apparaissait clairement.

Quelques coups retentirent à la porte et sa secrétaire, affolée et rougissante entra dans la pièce. "Bonjour Monsieur le Président, le Ministre de l'Intérieur doit vous voir en urgence, ça concerne... votre Premier Ministre." articula-t-elle d'une voix blanche. Un frisson le parcourut. "Faites-le entrer immédiatement dans mon bureau.". Macron se leva et traversa l'Elysée au plus vite afin de rejoindre son cabinet. Il était tourmenté par cette nouvelle, déjà que le parti n'était pas à son apogée, cette histoire n'annonçait rien de bon. Il ne savait pas à quoi s'attendre mais craignait le pire. Il avait nourri depuis des mois une forme d'attachement envers Gabriel et la perspective que quelque chose de grave lui soit arrivé l'inquiétait. En pénétrant dans le bureau, il se trouva nez-à-nez avec la figure narquoise de Darmanin qui lui provoqua immédiatement un sentiment désagréable. "Quelle est l'urgence dont vous voulez me faire part ?" interrogea-t-il aussitôt avec une anxiété mal contenue.

Le visage de Darmanin se fendit d'un rictus. "Et bien, figurez-vous qu'on m'a réveillé au milieu de la nuit pour m'annoncer que Stéphane, le mari de Gabriel Attal avait été interpellé par la gendarmerie nationale, blessé suite à une altercation violente en pleine rue au cours de laquelle le Premier Ministre aurait fini par s'enfuir avec, tenez-vous bien, Jordan Bardella." annonça-t-il au Président en le regardant droit dans les yeux. Macron se figea, il crût à une mauvaise blague et chercha sur le visage de son interlocuteur, les signes d'un humour déplacé. Mais il n'était confronté qu'au sourire moqueur perpétuel de Gérald Darmanin. Il s'efforça de reprendre ses esprits. "Vous avez des explications ?". "Il semblerait que ces messieurs se soient retrouvés dans une impasse diplomatique..." dit-il avec un sourire plein de sous-entendus. "Et... au vu de la situation, il semblerait qu'Attal entretienne une relation avec Bardella depuis un certain temps". Macron était incapable de formuler une pensée cohérente au vu de cette annonce surnaturelle. Il inspira profondément pour se donner contenance. "Ramenez-moi Attal au plus vite et surtout faites en sorte que la presse n'en sache rien. Il en va de la crédibilité du parti. Du pays !"

Un courant d'air parcourut le visage de Gabriel, le tirant d'un sommeil profond. Il sentit les poils de son bras se hérisser et tâtonna dans le vide à la recherche d'une chaleur familière, ne sentant que le vent et les draps froissés de la veille. Il appela doucement le nom de celui qu'il attendait et entrouvrit les yeux. Personne dans la chambre. La fenêtre grande ouverte. Une montée d'angoisse incontrôlable le prit à la gorge. Il l'appela de nouveau d'un ton chancelant en sortant de la pièce, espérant le trouver plus loin dans l'appartement . Seul un silence retentissant répondait à ses appels.

Soudainement, il prit conscience qu'il,venait de se réveiller dans le lit de l'étoile montante de l'extrême droite française. Un homme qui s'était toujours positionné à l'encontre des droits humains, de ses droits, avec constance et obstination depuis son entrée dans la vie politique. Il déambula fébrilement dans l'appartement afin de retrouver ses affaires, et se rhabilla précipitamment, découvrant au passage que toutes les portes, à l'exception de celles des chambres dans lesquelles il avait dormi, étaient fermées à clé.

Une angoisse incisive l'envahissait et le poussait à quitter les lieux précipitamment. Il ne trouvait pas son téléphone et comprit instantanément qu'il n'était plus dans l'appartement. Son téléphone de service, contenant toutes ses données confidentielles, dont la diffusion pourrait compromettre la sécurité nationale.

Il s'extirpa de la résidence, dévalant les escaliers de ce lieu de cauchemar, les pensées brouillées par la terreur. Il devait trouver un hôtel au plus vite afin de se mettre en sécurité. D'après la lumière du jour il était encore tôt et les rues étaient relativement vides, mais le peu de gens présents le dévisageaient d'un air curieux. Par chance il reconnaissait les rues et réussit à parvenir rapidement à un palace de renom. Le personnel le prit tout de suite en charge et lui accorda aussitôt une suite afin qu'il puisse se reposer.

Il s'effondra sur le lit, et se retrouva aussitôt secoué de pleurs irrepressibles; incapable de maîtriser la violence et la multitude des sentiments qui l'habitaient. Il se revoyait la veille, naïf et transi d'amour et il aurait voulu se tuer pour ça. Une douleur brutale le plia en deux et il reprit conscience de la réalité tangible. Il était 6h17. Il avait un déjeuner capital en vue d'une nouvelle alliance centriste pour les législatives à 11h, ce qui lui laissait le temps de se laisser aller à ses émotions et de dissimuler le bleu dans son cou, désormais presque imperceptible.

Vers 8h30, toutes les unités spéciales de police étaient mobilisées avec comme seul objectif de mettre la main sur le Premier ministre, désormais considéré comme porté disparu. Ses appartements étaient vides. Tous ses téléphones sonnaient sans réponse. La possibilité de l'enlèvement politique apparaissait désormais comme une piste envisageable.

D'ici la fin de l'heure, il faudrait, si personne ne le retrouvait, diffuser l'information plus largement.

Alors que Macron s'apprêtait à prendre cette décision difficile, on vint l'informer urgemment que le Premier ministre avait contacté l'Elysée. Il venait d'appeler depuis un palace du 3e arrondissement, demandant à ce qu'on envoie un chauffeur le chercher.

Depuis l'Elysée, Macron attendait Gabriel de pied ferme. Il avait besoin de réponses et surtout de bonnes justifications pour un comportement aussi irresponsable, absurde et dangereux. Il observa d'un air attentif la voiture de fonction se garer dans la cour du palais, scrutant la moindre expression sur le visage du Premier ministre qui en descendait. Il affichait de prime abord son air neutre habituel, mais Emmanuel décela aussitôt la fragilité anormale qui transparaissait dans son regard.

Les deux hommes prirent place face à face dans le cabinet présidentiel. Une tension palpable les habitait, rendant difficile toute amorce de conversation. Finalement, Gabriel interrogea "Vous vouliez me voir?" Macron esquissa un sourire crispé. "Il paraît que la nuit a été longue?". Gabriel marqua un temps de pause. "J'ai eu quelques difficultés.". "Et ces "difficultés" impliquent-t-elles le plus haut cadre du Rassemblement National par hasard ?". Gabriel blêmit, il n'était pas en état de parler de Jordan et surtout pas dans ces conditions. Macron saisit immédiatement le désarroi de son collègue. Il renchérit avec plus de subtilité "Ecoute Gabriel, je comprends qu'il soit difficile d'exposer tes histoires personnelles devant moi, mais en l'occurence elles mettent en péril la crédibilité du gouvernement. Et je vais avoir besoin de réponses. Est-ce qu'hier soir tu as rencontré Jordan Bardella ?" Gabriel ne savait pas quoi dire. "Je l'ai croisé par hasard, en sortant avec mon compagnon. Ils ont fini par se battre pour des divergences politiques. Je n'ai pas du tout réagi de manière appropriée, je m' excuse." Macron prit un temps pour réfléchir. Il se doutait bien que ce n'était pas la vérité, mais ne pouvait pas évaluer précisément à quel point ce récit s'en éloignait. Il aurait voulu aborder frontalement la question de la liaison romantique qui aurait pu mener à cette situation, mais savait bien qu'une réponse honnête serait impossible à obtenir dans ces conditions. "Bon. Je pense que tu as passé des heures difficiles. Je te laisse du temps pour qu'on en rediscute quand tu seras prêt. J'ai confiance en toi pour prendre la bonne décision. On se retrouve à 11h pour déjeuner."

Un point partout (Attal x Bardella)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant