XV. Réunions intimes

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La perspective de rentrer chez lui pour plier bagages avait accaparé toutes les pensées de Gabriel, le rendant incapable de se concentrer sur la discussion à laquelle il devait prendre part. Il savait que Stéphane était attendu au Conseil européen pour discuter des décisions à venir suite aux élections du nouveau Parlement. Il souhaitait en profiter pour récupérer son ordinateur et son carnet de notes personnel dans lequel il conservait ses pensées les plus intimes.

Son chauffeur le déposa au pied de son domicile. Pour ne prendre aucun risque, il se donnait 20 minutes pour récupérer ses effets personnels et projetait déjà d'appeler l'hôtel dans lequel il séjournerait. Il tourna la clé deux fois dans la serrure et poussa la porte avec empressement. Il tendit l'oreille. Aucun bruit. Le silence le rasséréna et il se dirigea vers sa chambre d'un pas plus tranquille. Il récupéra un grand sac dans lequel il fourra toutes ses affaires, avant de s'acheminer vers la sortie. Nostalgique, il jeta un dernier regard à l'appartement dans lequel il avait vécu ces années qui semblaient hors du temps. Ses yeux qui balayaient la pièce se figèrent lorsqu'il aperçut la silhouette d'un homme qu'il ne connaissait que trop bien. Il était confronté à un regard défiant, interrogateur et rempli d'une rage contenue avec difficulté. "Alors, tu t'en vas ?" dit-il, se levant lentement. Gabriel tressaillit et tendit la main vers la poignée et la pressa à plusieurs reprises, sans succès. La porte avait été verrouillée derrière lui, rendant tout départ impossible. "Ah, pardon, c'est ça que tu cherches ? J'ai fermé pour te garder en sécurité.", il secoua les clés, avant de s'appuyer complètement contre le dos de Gabriel tout en lui caressant ses bras. "Il ne te reste plus qu'à partir..." murmura-t-il dans son oreille tout en lui glissant les clés dans les mains. "Partir où ?" répondit faiblement Gabriel, comprenant qu'il ne sortirait pas de cet appartement. "Le rejoindre, c'est ce que tu veux, non ?". Il avait prononcé ces mots d'un ton susurrant, mais des spasmes presque imperceptibles donnaient à sa voix une intonation menaçante. Gabriel sentait l'étreinte de son compagnon se resserrer autour de lui, la chaleur de ce corps contre le sien l'étouffait et lui était presque douloureuse. Il aurait voulu se débattre, le rejeter, partir, être libre. Mais les souvenirs de la nuit précédente lui revenaient avec horreur. Il se revoyait, couché contre le dos de Jordan Bardella, persuadé que celui-ci jouerait le rôle du sauveur qu'il avait tant attendu. Il savait que ses illusions absurdes lui avaient déjà causé tant de problèmes et d'humiliations, que seul, il était incapable de prendre les bonnes décisions. Il voulait que quelqu'un le tienne, que quelqu'un l'aide et le protège. "Il n'y a personne" souffla-t-il en esquissant un sourire vaincu. "Moi je suis là." affirma Stéphane d'un ton encourageant tout en refermant ses bras autour lui, l'empêchant définitivement de partir.

La tête appuyée contre la fenêtre du train, Nolwenn pensait à ce qu'elle allait dire à Jordan, le soir même lorsqu'il rentrerait de son travail. Elle lui avait envoyé un SMS plus tôt dans la journée pour l'informer de son retour imminent, auquel elle n'avait reçu aucune réponse. Quand est-ce que leur couple avait basculé ? Quand est-ce que les silences avaient remplacé des conversations si animées ? Elle se rappelait de la première fois où Marine l'avait présenté à elle comme le futur grand nom du Rassemblement national. Elle avait été aussitôt frappée par l'air solennel sur son visage qui ne la laissait pas indifférente. Il faisait bien plus que ses 24 ans lorsqu'il était perdu dans ses réflexions. Mais dés lors qu'il prenait la parole, il s'animait d'une énergie juvénile qui séduisait tout le monde autour de lui. C'était un politicien né. Il lui avait proposé au détour d'un meeting de se revoir le soir pour dîner. Elle n'avait jamais réussi à recréer l'émotion qu'ils avaient ressentie ce soir là. La limpidité de leur discussion, l'évidence de leurs sentiments mutuels qui transparaissaient dans chaque geste, chaque sourire, chaque échange de regards.

Et lorsque Jordan avait été élu Président du parti, elle avait cru succomber au bonheur. Elle savait que son rôle avait été décisif dans sa nomination et elle en tirait une grande fierté. Avec elle à ses côtés, il était invincible. A son intelligence et sa détermination, elle ajoutait le statut social et les relations qui lui manquaient pour devenir l'un des plus grands hommes politiques français du siècle.

Mais depuis ce jour, leur relation avait lentement décliné, et aujourd'hui, raviver la flamme qui brûlait autrefois entre eux avec tant de facilité paraissait à peine envisageable. Elle laissa échapper un soupir et se laissa retomber sur les accoudoirs de son fauteuil, incapable de se départir de sa nervosité. Ce soir, elle devrait lui faire face et lui poser la question ouvertement. Est-ce-qu'il souhaitait toujours une relation entre eux ? C'était à lui de prendre la décision d'y mettre un terme s'il n'y avait plus rien à espérer. Mais au fond d'elle, elle préférait encore l'incertitude, plutôt que d'avoir à l'entendre dire de vive voix qu'il ne l'aimait plus.

Son train arriva en gare Montparnasse, et elle s'empressa de rejoindre le taxi qui l'amènerait chez eux. Arrivée à son domicile, elle s'étonna de ressentir un grand courant d'air frais. Elle comprit qu'une fenêtre était ouverte et prit peur. La possibilité d'un cambriolage lui apparut comme une évidence. Elle s'immobilisa, attentive au moindre bruit pouvant indiquer la présence d'un intrus chez elle. N'entendant rien, elle s'avança un peu plus dans l'appartement, saisissant au passage un chandelier pour se défendre. Elle suivit le bruit du vent et de la circulation routière, pour rejoindre la chambre dans laquelle la fenêtre avait été laissée ouverte. Le lit était resté inhabituellement défait, mais aucun des rares objets qui décoraient la pièce ne semblait manquer. Jordan aurait donc laissé la chambre dans cet état avant de partir ? Le connaissant, ça semblait inconcevable. Il avait toujours été ordonné et consciencieux à l'égard de ses affaires.

Elle ferma la fenêtre et entreprit d'explorer les autres pièces de la demeure pour s'assurer que tout était en ordre. Elle pressa la poignée de la salle de bain et fronça les sourcils en réalisant que celle-ci était fermée à clé. ainsi que celle du bureau mais seul celle de la chambre d'amis demeurait accessible. Là encore, elle y trouva un lit anormalement désordonné. Elle entendit les clés tourner dans la serrure et se précipita vers l'entrée où Jordan apparaissait, le visage muré dans une expression impénétrable.

"Il y a eu un problème ce matin ?" questionna-t-elle, nerveuse. Il poussa un soupir agacé et se laissa tomber dans le canapé. Il était visiblement épuisé par sa journée. Elle s'installa à côté de lui et lui demanda d'une voix douce "Je peux t'aider ? T'as l'air soucieux..." Jordan plissa les sourcils, visiblement dérangé par sa présence. Le sentiment de malaise qui ne la quittait jamais vraiment s'intensifia. "Euh... tu sais pourquoi toutes les portes de la maison sont fermées ?", elle regretta sa question instantanément. Il la regarda avec agacement "C'est bon. Je vais les ouvrir." souffla-t-il avant de se lever péniblement.

Il récupéra dans son sac les quelques clés qui barraient l'accès aux pièces, et les ouvrit les unes après les autres, avant de se rasseoir à côté d'elle sans dire un mot. Soudain, elle éclata ."Qu'est-ce que j'ai fait Jordan ?" gémit-t-elle entre deux sanglots fractionnés. "Ecoute, je suis dans une période difficile. Avec tout le stress des élections, je suis incapable de m'occuper de toi comme je le devrais." Il s'avança vers elle et posa une main affectueuse sur son épaule. "Ça va aller mais j'ai besoin d'être seul jusqu'à ce que la situation se calme." Compréhensive, elle hocha la tête. "Est-ce que tu veux que je m'en aille ?" demanda-t-elle avec timidité. "Non, c'est à moi de partir, je te laisse l'appartement. Je vais passer quelques semaines à l'hôtel. Je pense que ça nous fera du bien à tous les deux." conclut-t-il en se levant pour préparer son départ. Elle le regarda quitter l'appartement, encore sous le choc des dernières heures, puis elle sentit s'insinuer en elle, l'idée dérangeante que l'homme qu'elle aimait lui cachait quelque chose.

Un point partout (Attal x Bardella)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant