XXXII. Ascension

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Enveloppé par le revêtement moelleux du fauteuil dans lequel il était installé, Gabriel s'agitait avec nervosité. Il ne voulait pas se retrouver ici à nouveau, mais il n'avait pas eu le choix. En face de lui, les coudes posés sur son bureau dans une posture de concentration intense, le docteur Lugbeid l'observait en écoutant son récit. "Je n'aurais pas dû faire ça, je regrette tellement, je ne sais pas ce qui m'a pris... Je me sens perdu. Je ne sais plus ce que je dois faire ni où je veux aller. La vie était tellement plus belle, avant." Gabriel fut interrompu par un sanglot. Après des semaines d'errance, il s'était fait à l'évidence : il était malade et ne pourrait pas s'en sortir tout seul. Prêt à tout pour avoir une dernière chance de récupérer sa vie d'avant, il avait finalement recontacté le docteur de l'hôpital, ce qui lui éviterait d'avoir à raconter son histoire à une nouvelle personne.

"Mais aviez-vous vraiment le choix de commettre cet acte?" interrogea le psychiatre, en le regardant comme toujours de son air impénétrable qui le mettait aussi mal à l'aise qu'il l'amenait à se livrer entièrement. "Vous avez tellement souffert, par sa faute." poursuivit le docteur "On s'est fait souffrir tous les deux." corrigea Gabriel. "Et même, je ne suis pas certain que ça me donnait le droit de lui faire ça." souligna-t-il. "Et est-ce que lui avait le droit de vous traîter comme ça, et de vous remettre à plus tard en permanence ? Vous manquez beaucoup d'estime de vous, Monsieur Attal."

Gabriel ne savait pas quoi répondre. Il avait envie de le contredire, mais n'y arrivait pas véritablement. Il ne parvenait pas à pardonner à Jordan son comportement, ses négligences qui l'avaient conduit à en arriver là. Et pourtant, il ne cessait pas de vouloir le revoir, rien qu'une fois, pour s'excuser.

Après leur séance, le docteur Lugbeid se dirigea vers l'Elysée, pour réaliser son compte-rendu hebdomadaire auprès de Macron. Il faisait parti d'un réseau payé par le Président, pour suivre de près certains de ses plus proches collaborateurs et Lugbeid était l'un des plus corrompus. Il avait comme mission de plonger Attal pour qu'il soit incapable de se présenter aux Présidentielles. Macron avait monté ce plan lorsque la popularité d'Attal avait explosé, devenant une menace pour son succès. Gabriel aurait été largement capable de créer son propre parti pour se présenter sans son aide aux prochaines élections, emportant avec lui les meilleurs de ses éléments.

Macron cherchait à le déstabiliser suffisamment pour qu'il soit complètement dépendant de lui et incapable de prendre une décision sans son aide. Il ne se préoccupait pas de Jordan car ce dernier était beaucoup plus facile à modeler que son adversaire, qui s'était mis à prendre de plus en plus de décisions indépendantes.

Le voyant arriver, il fit rentrer le docteur dans son bureau. Celui-ci lui annonça immédiatement : 'Il souffre de dépression sévère, ce n'est plus une menace. Le coup avec Bardella l'a annihilé. Je fais en sorte qu'il ne sente pas coupable, afin qu'ils ne puissent pas se réconcilier." expliqua-t-il. "Bien. Alors je vais continuer le processus et le monter en grade pour qu'il soit de nouveau confronté à Bardella. S'ils doivent travailler en étroite collaboration dans cet état, ils finiront par craquer. Une pierre, deux coups." déclara sournoisement le Président. "Ils sont déjà montés l'un contre l'autre, grâce à mon plan. J'étais sûr que ce pauvre Gabriel allait succomber au premier homme qu'il trouverait, vu comme j'empêchais Bardella de quitter son poste pour aller le voir. Mais j'avoue que je ne m'attendais pas à un résultat aussi grandiose." continua-t-il. "Et Mimi a été superbe, quelle photo poignante, je l'avais prévenue qu'il risquait d'y avoir du juteux, mais elle n'a pas raté sa photo!" s'exclama-t-il, machiavélique.

Mimi Marchand était la conseillère en image de Macron depuis le début de son mandat. Elle possédait toutes les entreprises de magazines people et connaissait tous les secrets des stars. Reine des paparazzis, c'était elle qui avait le pouvoir sur ce qui sortait ou pas dans la presse, ce qui faisait la Une. Elle protégeait les Macrons depuis leur début et suivait Attal et Bardella sur ordre de Macron depuis déjà des semaines, l'informant grossièrement de ce qu'il se passait entre eux. Lugbeid était celui qui s'infiltrait dans son esprit pour obtenir le détail de ces scènes.

Gabriel devait se rendre à l'Elysée pour faire un compte-rendu de son déplacement en Corse. En arrivant, il aperçut Jordan au loin, de dos. En se dirigeant vers le bureau, il se rendit compte que Jordan empruntait le même chemin que lui. Il se liquéfia. Peut-être que Jordan voulait parler à Macron et qu'il ne savait pas qu'ils avaient déjà rendez-vous. Jordan s'arrêta devant la porte du Président et Gabriel n'osa pas le rejoindre, il s'était arrêté au milieu du couloir, attendant de voir ce qui allait se passer. Subitement, Jordan se retourna et dévisagea Gabriel qui était planté là, sans bouger. "Qu'est-ce que vous faites là, Monsieur..." Il prit un temps, tout en s'avançant vers lui. "Attal." Sa voix grave et sombre résonna dans le couloir. Gabriel bouillonnait d'une culpabilité mêlée de rancoeur, il voulait prouver à Jordan qu'il pouvait encore lui tenir tête. "Le Président... m'a donné rendez-vous." répondit-il en soutenant son regard, essayant de dissimuler le chancelement dans sa voix.

"Quelle chance, moi aussi." ironisa-t-il avant de frapper à la porte. Gabriel n'eut pas le temps de répondre, Macron était là. "Bonjour à tous les deux, merci d'être venus, je sais que ton emploi du temps est très chargé Jordan, mais il s'agit d'une réunion urgente." annonça-t-il. "Qu'est-ce qu'il fait ici ?" demanda Jordan en jetant un coup d'œil acerbe à Gabriel. "Je n'ai pas beaucoup de temps donc on va faire d'une pierre, deux coups. Gabriel j'ai besoin de ton compte-rendu de la Corse." ordonna-t-il avec un sourire malveillant. "Et bien... la cérémonie s'est passée correctement. Les gens étaient enthousiastes à l'idée de l'inauguration de ce parc aviaire." Jordan ne put retenir un sourire de mépris, en constatant la médiocrité de son poste. Gabriel le remarqua et s'énerva intérieurement. "Au delà de ça, j'ai plusieurs initiatives à proposer. De ce que j'ai pu en voir, cette partie de la Corse pourrait devenir un site touristique majeur. J'ai réussi à m'émerveiller devant certains paysages, je crois vraiment qu'on peut en tirer quelque chose. Malheureusement, il y a trop peu d'infrastructures mais je pourrai me mobiliser sur le projet, vu le temps libre que vous m'offrez." déclara Gabriel, sûr de lui.

Macron sourit "Non, je pense que vous n'allez plus avoir beaucoup de temps libre, Monsieur Attal. Vous allez devenir le nouvel assistant principal de Monsieur Bardella sur ses futures obligations." Gabriel et Jordan se dévisagèrent, sous le choc. Alors comme ça, ils allaient devoir collaborer alors que tout les divisait.

Un point partout (Attal x Bardella)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant