XXIX. Rosa Ventorum

1K 48 33
                                    


Ils n'arrivaient pas à se lâcher. "J'ai cru que tu m'avais abandonné..." gémit Gabriel, l'enlaçant. "Jamais, je n'aurai jamais pu..." lui répondit Jordan en le serrant encore plus fort. "Promets-moi que c'est la dernière fois que tu feras quelque chose comme ça." supplia Gabriel, rempli d'espoir. "Je te le promets." Il l'embrassa encore. "Je sors demain Jordan. Je vais pouvoir reprendre ma vie d'avant !" clama-t-il, d'un ton optimiste. "Oui !" s'écria Jordan en prenant le visage de Gabriel entre ses mains. "On va réussir à s'en sortir, dès demain, nous nous verrons tous les soirs pour dîner ensemble. Je n'aurai sûrement pas le temps de cuisiner mais on pourra aller dans un restaurant, ou tu pourrais faire à manger. Je me souviens encore de tes délicieux biscuits." le complimenta Jordan avec un clin d'œil. "Je dois y aller mais on se retrouve dès demain ! Bonne nuit mon Gabriel.." affirma-t-il, tendrement. Ils s'embrassèrent et Jordan quitta la chambre.

Le lendemain, Macron était dans son bureau, face à sa fenêtre. Il attendait une visite importante. On frappa à la porte. "Entrez !" cria-t-il. "Bonjour Ludwig, merci d'être venu.". "Bonjour Monsieur le Président, tout le plaisir est pour moi." le salua le docteur Lugbeid. "Comment va Gabriel ?" demanda Macron, mesquin. "Nous avons eu une session ce matin. Il va mieux mais son état est toujours instable. Il m'a confié avoir eu une discussion avec Bardella hier." Macron fronça les sourcils. "Développez." ordonna-t-il. "Il lui aurait fait plusieurs promesses." expliqua le médecin. "Je lui avais pourtant interdit de lui parler." déclara Macron, agacé. "A quel point Gabriel est-t-il instable ?" poursuivit-t-il, inquisiteur. "Disons qu'une trahison de plus de la part de Bardella et il aura sombré." évalua le médecin, un sourire narquois aux lèvres.

Pour la première fois depuis son hospitalisation, Gabriel sortit fumer. Il en avait besoin pour éclaircir ses pensées. Sa dernière réconciliation avec Jordan lui semblait lointaine et embrumée, comme s'il sortait d'un long rêve dont il venait de se réveiller. Alors qu'il avait cru le perdre une nouvelle fois, Jordan revenait le secourir, lui déclamant son amour et promettant de rester avec lui pour toujours. Comme à chaque fois.

Il tira une bouffée de cigarette électronique pour se calmer. Le bonheur immense qu'il avait ressenti la nuit précédente s'était évaporé, le laissant retomber à nouveau dans une mélancolie léthargique qui ne le quittait plus.

Alors qu'il était perdu dans ses pensées, son téléphone se mit à sonner. Il blêmit en lisant sur l'écran le nom d'Emmanuel Macron, mais se força à décrocher. « Bonjour, je suis bien en relation avec Gabriel Attal? ». Son ventre se serra en entendant la voix familière du Président. « Oui c'est moi. » balbultia-t-il, nerveux. Il avait demandé pendant des jours à sortir de la clinique mais redoutait malgré tout de reprendre contact avec cet homme qui avait laissé Marine Le Pen l'humilier sans réagir.

« J'ai eu des nouvelles de ton hôpital. On m'a indiqué que tu étais rétabli. C'est pourquoi je te propose un poste de porte-parole du Gouvernement. » Un silence suivit sa proposition. « Mais j'ai déjà été porte-parole... » releva-t-il, hébété. Il comprenait peu à peu les implications de cette rétrogradation Il était relégué à un rang inférieur, publiquement abaissé après avoir perdu sa place de Premier ministre. « Je pense que ce poste serait parfaitement adapté à ta situation. Il te permettrait de rester dans la vie politique sans avoir à prendre trop de décisions. C'est ce que tu n'as pas supporté la dernière fois, n'est-ce-pas? Il faut dire que ça demande beaucoup de force mentale, ce n'est pas adapté à tout le monde. » lui expliqua Macron d'un ton paternaliste. Insulté, Gabriel s'apprêtait à décliner lorsqu'il ajouta : « Et puis, c'est ta dernière chance d'obtenir un poste au gouvernement. Si tu attends plus longtemps, on comprendra que tu es malade et on privilégiera des gens ayant la carrure d'assumer de telles responsabilités, plutôt que de prendre le risque de te faire du mal. » Gabriel serra les dents. Il savait que Macron disait vrai et ne pouvait pas supporter d'être évincé aussi rapidement de la politique. Il avait des rêves, une ambition et il les réaliserait, quitte à avoir momentanément un rôle moins décisif.

Gabriel arriva à Matignon avec appréhension. Ses affaires avaient été migrées vers une autre pièce. Il regarda son ancien bureau, nostalgique. La porte était ouverte et il pouvait entrevoir Jordan, passer des coups de téléphone ou écrire. Malgré son amour pour lui, il grinçait des dents, n'arrivant pas à supporter qu'il lui ait pris sa place. Il essaya d'écarter ses sentiments pour se mettre à travailler. Il découvrit son nouveau bureau, qui n'avait rien à voir avec son ancien. Il était beaucoup plus petit, ridicule par rapport à celui de Jordan. Alors qu'il se plongeait dans ses tâches quotidiennes, il était interrompu en permanence par des conseillers qui lui demandaient s'il se sentait bien et s'il avait besoin de quelque chose. Il déclinait à chaque fois, mais ils continuaient de le déranger sans relâche. Sa porte ouverte, il voyait Jordan discuter avec d'autres fonctionnaires, qui riaient à ses blagues. Parfois, ils se retournaient et lui jetaient un coup d'oeil avant de rire bruyamment. Il entendait des bourdonnements derrière lui à chaque fois que des employés passaient. Il ne supportait pas d'être réduit à la qualification d'inapte alors que Jordan prenait toutes les responsabilités.

Excédé, il sortit un instant pour fumer à nouveau. Jordan arriva pour prendre sa pause avec lui. "Alors, comment se passe ton retour ?" demanda-t-il en souriant. "C'est ok." coupa-t-il, n'ayant pas envie de prolonger la discussion. "Tu fumes depuis quand ?" le questionna Jordan, avec un soupçon d'inquiétude. "Je sais plus." répliqua Gabriel, lassé. "C'est mauvais pour toi, tu sais ?" dit Jordan, d'un ton joueur, en lui prenant sa cigarette électronique. "Rends-moi ça Jordan." demanda sèchement Gabriel. "Viens la chercher" dit-il, en prenant une taffe. "Tu m'épuises Jordan." le rembarra-t-il, sans une once d'humour dans sa voix. Jordan le dévisagea avant de lui jeter la cigarette dans les mains et partit sans rien dire. Enfin tranquille, Gabriel continua de fumer un moment.

Il avait des tâches ridicules à accomplir, qui ne comportaient aucun risque et étaient même plutôt humiliantes, comme organiser des rencontres avec des vidéastes connus pour démocratiser le gouvernement ou encore faire la mascotte pendant des événements publics. Le soir, il attendit Jordan dans son appartement, pour manger avec lui. Il espérait que ça détendrait la situation entre eux. Il s'était donné du mal, car il savait que Jordan adorait manger. Il avait passé plus de deux heures en cuisine afin d'être prêt pour 21h, heure de leur rendez-vous. Il lui envoya un message pour prendre de ses nouvelles. Aucune réponse. 22h. Il essaya de l'appeler. 23h. Il mangea son plat froid, seul. 00h. Il explosa l'assiette de Jordan par terre. 00:36.

Excuse-moi j'ai été retenu au boulot, on se refait ça demain! 00:36

Et le lendemain, Gabriel explosa une nouvelle assiette lorsque Jordan ne se présenta pas au rendez-vous. Le surlendemain, pareil. Le jour d'après, aussi. Le jour encore d'après, Jordan sonna à sa porte. Aucune réponse.

Gabriel ??? Je suis là, on peut manger ensemble! 23:12

Le lendemain, Gabriel trouva devant sa porte un bouquet de roses rouges. Il les regarda avec une rage incommensurable. Elles n'avaient rien à voir avec les camélias romantiques de leurs dernières rencontres. Il s'agissait de fleurs génériques, dénuées d'attention, choisies au hasard afin de remplir le rôle romantique qu'on attendait de lui. Était-ce sa vision de leur relation ? Une corvée à boucler ? Jordan n'avait même pas pris la peine de faire enlever les épines qui s'enfoncèrent dans la peau de Gabriel, lorsqu'il attrapa les roses pour les frapper violemment contre les murs jusqu'à ce qu'elles ne soient plus qu'un amas indistinct. Ses mains étaient en sang. Il trouva un petit mot sur le sol et le ramassa. "Il faudrait qu'on arrive à se parler, non ?"

Les larmes montèrent aux yeux de Gabriel. Il était hors de lui. "Parler de quoi !?" hurla-t-il, seul, dans son entrée. Il s'effondra, une rose dans les mains. Il avait ruiné sa vie, il n'était plus capable d'aimer Jordan sans ressentir une terrible colère, qui lui soufflait qu'il lui avait tout pris et que maintenant il était destiné à avoir une vie misérable. Le rouge des fleurs et du sang avait entaché l'atmosphère autrefois si réconfortante de son appartement. Il n'avait même pas la force de nettoyer, dépassé par ses propres actions. Il se demandait s'il était devenu fou. Il n'avait jamais eu de réactions aussi violentes de sa vie. Il était terrifié à l'idée qu'il soit devenu véritablement inapte et obligé d'arrêter la politique, à laquelle il tenait désespérément même s'il n'arrivait plus à lui accorder autant de volonté qu'auparavant.

Il était malade depuis qu'il avait rencontré Jordan. 

Un point partout (Attal x Bardella)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant