LXIII. Cigarette

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Jordan était sur son balcon, regardant l'horizon. Il alluma une cigarette, certainement pas pour la fumer, mais simplement pour l'observer se consumer. Et c'était à cet instant que son addiction se tenait, à ces légères braises qui s'envolaient entre ses doigts. Le seul moment où il s'autorisait à repenser à Gabriel, à laisser une larme couler. Il revoyait leur relation qui s'était embrasée sous ses yeux. Le feu, l'unique chose qui caractérisait les sentiments entre eux. La passion avait enflammé son coeur, mais la haine qui l'animait désormais, le calcinait lentement. Cette cigarette lui rappelait la descente aux enfers de Gabriel, la façon dont ce dernier fumait pour échapper à ses angoisses, les violences qu'il lui faisait subir en conséquence et aussi, même s'il était difficile pour lui de se l'admettre, l'amour qui l'avait animé envers lui.

Mais à chaque fois, il ne restait qu'un mégot cramoisi, Jordan réalisait que leur relation ne tenait qu'à ça. Un déchet réduit en cendres qu'il fallait jeter en prenant précaution de l'éteindre sinon il flamberait tout autour de lui. Parfois, il arrivait à Jordan d'allumer trois ou quatre cigarettes, juste pour se donner le droit de repenser à Gabriel, d'arrêter de prétendre que cette situation ne l'affectait pas.

Pourquoi tu fais ça ?, demanda Juan en sortant sur le balcon.

Pour rien. C'est... ça m'aide à réflechir, ça focalise mon attention, mentit Jordan tout en écrasant le mégot dans son cendrier qu'il n'avait toujours pas réussi à vider depuis sa séparation avec Gabriel.

Non mais pourtant tu ne les fumes pas, c'est insensé... Tu perds du temps et de l'argent en faisant ça, demanda Juan tout en observant la cigarette s'éteindre lentement. En plus, tu devrais le vider, il est plein à craquer ton truc-là. C'est un rituel ?

Bon écoute, je t'en pose des questions, moi ?, répondit Jordan sur la défensive.

Juan le regarda en souriant, dans l'incompréhension la plus totale, trouvant l'attitude de Jordan parfaitement ridicule. Il s'empara du paquet sur la table et alluma une cigarette dont il tira une bouffée avant de la tendre à Jordan.

C'est aussi simple que ça pourtant, murmura Juan tout en expirant la fumée qui lui remplissait les poumons.

Jordan se tut, en regardant dans le vide. Juan glissa la cigarette entre ses lèvres, l'obligeant à prendre une bouffée. Gabriel. Voilà pourquoi il s'interdisait de fumer. Il revoyait Gabriel lui tendre la cigarette dans la voiture, le point de bascule, elle accompagnait la cessation de leur bonheur, l'idylle s'effaçant au profit de la dure réalité qui le bouleversait.

Arrête, souffla Jordan tout en retenant ses larmes. Arrête ça tout de suite. Je te l'ai dit, je ne fume pas.

Alors pourquoi tu as toutes ces clopes dans ton cendrier ?, insista Juan tout en tirant une bouffée. Sérieux Jo, y'a vraiment des fois où je ne te comprends pas. Mais écoute ça me plaît, on va dire que ça te laisse du mystère, dit-il tout en souriant.

Sans répondre, Jordan retourna dans l'appartement pour lire ses notes. Il avait traqué Gabriel la nuit dernière et l'avait vu avec deux autres hommes qu'il n'avait pas réussi à discerner. Il savait qu'un gala avait lieu le lendemain et ses déductions avaient menées au fait qu'ils seraient là. La nuit dernière, ils avaient réussi à intercepter un des collaborateurs de Némèce. Et il comptait bien le faire parler.

Il retourna dans un des hangars de son groupe où l'agent l'attendait, attaché comme lui il y a quelques mois. Il était toujours hostile à certaines personnes travaillant ici, notamment au bourreau qu'il avait appris à côtoyer malgré lui, une véritable brute sans sentiment prêt à tout pour arracher la vérité de la bouche de ses otages. Jordan s'assit devant l'homme qui était complètement avachi sur sa chaise, ne montrant aucun signe de peur au contraire, il semblait blasé par rapport à la situation.

Un point partout (Attal x Bardella)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant