XLVII. Décision

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Jordan prit un temps pour contempler les dernières paillettes de verre volant dans la salle, en reculant, prenant sa tête dans ses mains. "Putain de merde..." souffla-t-il, désemparé. Gabriel était déjà en train d'avancer dans la pièce. Jordan eut un mouvement vers lui pour le retenir, en vain. Il avait très peu de temps avant que la police n'arrive pour faire son travail et boucler la scène. Gabriel devait trouver au moins quelque chose, n'importe quoi. Sans quoi on pourrait qualifier cet épisode d'échec. Et il ne pouvait supporter l'échec. Il scruta vivement autour de lui. Son regard avait changé. Une carte au sol. Un sourire névrosé anima son visage. Il la mit dans sa poche. En entendant une agglomération de pas de course, Gabriel prit Jordan par la main pour le tirer hors du musée.

Sortis, le taxi qu'ils avaient appelé les attendait. Ils se jetèrent dedans sous le regard ahuri de la foule. Enfin tranquilles, Gabriel se précipita d'examiner précautionneusement le titre qu'il avait mis dans sa poche. Jordan avait besoin d'un temps pour intégrer les informations qui venaient de se produire sous ses yeux. "Triptyque... ça prend tout son sens. C'est le deuxième tableau, une autre allégorie de Lippi. Ce qui veut dire... qu'un troisième tableau sera volé. Et on a là notre premier indice." affirma Gabriel, tout en tendant la carte à Jordan qui la saisit. "Pass-membre Némèce... Qu'est-ce que ça veut dire ? Il n'y a aucun nom." interrogea-t-il tout en la regardant attentivement. Gabriel regardait son téléphone à la recherche d'informations. "Il y a déjà des tas d'articles sur le vol du tableau... Putain, Jordan, un gala de charité est organisé pour récolter des fonds pour le retrouver. Tout le gratin de la scène artistique, réunis à cause du tableau." souffla Gabriel, abasourdi. "Comment tu veux t'y prendre pour qu'on y aille ?" demanda Jordan, perplexe. Gabriel lui jeta un coup d'œil amusé. "Je crois que la Russie t'as fait perdre le sens des réalités. Tu es le Premier Ministre, Jordan. Et je suis ton assistant dévoué. C'est un jeu d'enfants de s'intégrer à cette soirée."

Jordan avait oublié. Cela faisait seulement une semaine qu'ils étaient partis. Et cela avait déjà suffi à éclipser de son esprit ses obligations, la façon dont il devait servir la France. Cela avait suffi à lui faire oublier sa propre identité. Ils étaient devenus des marionnettes amorphes, malléables à souhait. Jordan avait toujours été comme ça. Il pouvait devenir tout ce qu'on voulait qu'il soit. Mais en rencontrant Gabriel, il avait eu le sentiment de sceller la part de lui qu'il n'avait jamais réussi à assumer, l'authentique, celle qui lui avait donné envie de commencer la politique. Après, il savait que tout le reste avait été façonné par le parti. Et il s'était retrouvé, enfin. Pourtant la sensation qu'ils étaient entrain de plonger dans une mer obscure avant de revenir déformés, fripés et noircis, le frappait de plein fouet.

"Comment j'ai pu oublier...?" se demanda Jordan à voix haute. "C'est bien tu étais vraiment dans la peau de Victor." répondit Gabriel nonchalamment tout en fixant son téléphone. Ils étaient presque arrivés à leur domicile. Gabriel avait comme seule hâte de commencer les recherches sur ce nouvel indice. Il se jeta sur la table de la cuisine pour commencer à travailler, sortant ses feuilles de notes et son ordinateur. Jordan soupira, réalisant qu'il n'aurait, encore une fois, aucun temps à lui accorder. Depuis la Russie, tous les moments qu'ils avaient ensemble étaient gâchés par la recherche de ce maudit tableau. Jordan errait dans la maison, cherchant quelque chose à faire, mais tout le ramenait vers Gabriel.

"Tu ne veux pas qu'on sorte faire quelque chose ? On pourrait aller manger au restaurant ?" demanda Jordan en s'approchant pour lui caresser les épaules. "Attends, pas ce soir, je dois absolument trouver d'où vient cette carte." répondit Gabriel, les yeux rivés sur son écran. Jordan inspira bruyamment, exaspéré par son attitude. "Gabriel. Sérieusement. Ça fait une semaine que tu es là-dessus, tu peux au moins t'arrêter le temps d'une soirée." répliqua Jordan, énervé. "On a pas beaucoup de temps, vas appeler Leonardo pour prendre de ses nouvelles." ordonna Gabriel, insensible. "Mais tu te fous de ma gueule ? Depuis quand tu me donnes des ordres comme ça ?" s'agaça Jordan en haussant la voix. "Je te l'ai déjà dit. Si tu es là pour me mettre des bâtons dans les roues, tu peux t'en aller." déclara Gabriel, ôtant finalement ses yeux de son ordinateur pour le confronter. Jordan le fixa un instant, entre douleur et colère, et prit sa veste avant de s'en aller.

Enragé, il se dirigea dans sa voiture, il savait qu'on le reconnaîtrait probablement, mais il n'en avait rien à faire. Comme dans chaque mauvais moment, l'alcool le confortait et lui apportait la compagnie que Gabriel ne lui offrait plus depuis trop longtemps. Il trouva des lunettes de soleil dans un compartiment de la voiture, qu'il revêtit immédiatement. Ne portant pas non plus son costard, il avait une chance de passer inaperçu. Il se jeta dans un magasin au hasard où il acheta une bouteille de vin et de vodka, avant de reprendre sa route vers un point isolé où il pourrait être tranquille, loin du monde. Il se traîna jusqu'au seul port dans les environs, pour pouvoir être près de l'eau.

Arrivé, il jeta un coup d'œil au panneau indiquant l'endroit Le port de Saint-Victor, foutu Victor qui m'a volé tout ce qu'il restait de moi. Il s'avança cherchant à trouver un coin reculé où il pourrait admirer l'eau. Il finit par trouver un joli coin avec des arbres où il s'arrêta, s'asseyant brutalement au sol. Il sortit la bouteille de vodka et but une gorgée, sèchement avant de réfléchir un moment.

Il pensa au fait que cette histoire n'aurait probablement aucune fin. Pour lui, c'était ça le pire, la possibilité que la quête soit infinie. Il prit une nouvelle gorgée. Ou même qu'elle puisse l'être. A cause de cette maudite histoire, il devait tirer un trait sur les plans qu'il avait fait avec Gabriel, sur sa carrière. Peut être que cette quête leur prendrait des années. Il but encore. Il raterait les Présidentielles à cause de cette interminable mission. Il raterait son rêve. Il réfléchit. Qu'est-ce que Macron pourrait bien lui dire ? Sachant que Gabriel était toujours sur le coup. Il but encore. Il savait ce qu'il devait faire. Il prit son téléphone et chercha le numéro de l'homme qui lui avait tout pris.

"Je sors de cette affaire Léonardo. Gabriel est déterminé à retrouver l'introuvable. Et moi je garde les pieds sur terre." 

Un point partout (Attal x Bardella)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant