XXVI. Visite nocturne

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Jordan se mit tout de suite au travail afin de pouvoir se libérer au plus vite pour rendre visite à Gabriel. Son emploi du temps n'avait jamais été aussi chargé. Au départ, il était convaincu que s'il était efficace, il arriverait à boucler sa journée en quelques heures. Mais il se rendit compte que derrière chacune de ses tâches principales se cachaient d'autres sous-tâches qui lui prenaient un temps fou.

Il en était déjà à trois réunions et deux conférences quand il réalisa à quel point le poste de Premier Ministre était épuisant. Il rêvait depuis toujours de cette place et la déconvenue était totale. Il ne savait même plus s'il pourrait voir Gabriel tant les corvées s'accroissaient à chaque minute.

Les hauts-fonctionnaires avec qui il devait travailler se révélaient incompétents et paresseux, multipliant les erreurs qui l'obligeaient à repasser sur leur travail. Il comprit qu'ils avaient pris de telles habitudes à cause de la gentillesse et du dévouement naturel de Gabriel dont ils avaient dû abuser. Il devait rectifier le tir et leur réapprendre à exécuter correctement les tâches qui leur étaient attribuées.

Il se demandait comment Gabriel avait fait pour dégager autant de temps pour le voir, et s'en voulait de ne pas réussir à faire pareil. Après de longues heures de travail acharné, on l'autorisa enfin à rentrer chez lui. Il était déjà minuit passé. La fatigue l'assommait, mais il ne pouvait pas se résoudre à remettre sa visite à plus tard.

Jordan se jeta dans sa voiture pour se rendre à la clinique. Il passa en urgence chercher le bouquet qu'il était parvenu à commander auprès d'un grand fleuriste de la ville. Arrivé sur les lieux, il se précipita à l'accueil. "Bonjour, excusez-moi, pourriez-vous me communiquer le numéro de chambre de Monsieur Attal s'il vous plaît ?" La secrétaire le dévisagea. "Désolé Monsieur, il n'y a plus de visites après 18h.". Après une pareille journée, la patience de Jordan avait atteint ses limites. Si cette femme ne voulait pas le laisser rentrer, il lui forcerait la main. "Ecoutez, je comprends complètement, mais je n'ai pas réussi à me libérer plus tôt. C'est uniquement pour lui apporter ces fleurs, je n'essaierai pas de le réveiller." précisa-t-il, incapable d'attendre plus longtemps. "Je suis désolée, mais cela ne va pas être possible. Les dernières visites sont à 18h. Bonne soirée Monsieur." répéta-t-elle sèchement. Jordan était enragé, la possibilité de voir Gabriel était la seule chose qui lui avait donné la force de supporter cette journée interminable.

"J'ai bien compris les règles, mais je vous ordonne de me laisser le voir. En tant que Premier Ministre." exigea-t-il, faisant usage de toute son autorité. La secrétaire soupira avant de composer un numéro de téléphone.

"Chambre 407, mais obligation d'être discret." dicta-t-elle, d'une voix monotone. Jordan s'achemina jusqu'à la chambre de Gabriel en essayant de faire le moins de bruit possible. Arrivé, il sentit une angoisse monter en lui. Que faire s'il était toujours réveillé ? Jordan n'en avait aucune idée. Il secoua sa tête et entrouvrit la porte. Gabriel dormait. En entrant, il aperçut une infirmière qui le surveillait. Elle était mince, la peau sombre, l'air intelligent et devait probablement être un peu plus jeune que lui. Alors qu'il se préparait à devoir encore justifier sa venue, elle murmura "Faites ce que vous avez à faire, je suis déjà au courant de votre visite.". Il la remercia. Il n'osait pas lui demander si Gabriel allait bien, mais ne supportait plus de ne pas avoir de réponses quant à son état. "Est-ce que.. c'est grave..?" hésita-t-il, la voix tremblante. Elle marqua un temps et observa le bouquet de fleurs, avant de lui répondre avec un sourire bienveillant. "Non heureusement il n'y a eu aucune complication. Il semble que sa crise ait été causée par une accumulation de fatigue et d'épreuves difficiles. Il nous a révélé dormir seulement quelques heures par nuit depuis des mois. C'est étonnant qu'il ait tenu jusque là. Un événement particulier s'est sûrement ajouté à une journée trop chargée, voilà tout." expliqua-t-elle calmement. C'est ma faute. "Merci infiniment de vos renseignements. Je m'en irai dès que j'aurai posé le bouquet." promit-t-il. "Oh et est-ce que vous pourriez vous garder de lui dire que je suis passé, s'il vous plaît ? Nous sommes... deux adversaires politiques et je ne voudrais pas qu'il croie que mon inquiétude n'est pas le seul motif de ma présence." mentit Jordan. La jeune infirmière acquiesça avec un sourire compréhensif.

Resté seul, Jordan s'avança vers Gabriel. Il s'arrêta un instant pour observer son visage pâle et défait, figé dans une expression de souffrance. Il s'assit à côté de lui, anéanti. "Je suis tellement tellement désolé Gabriel" murmura-t-il d'une voix à peine audible pour ne pas le réveiller.

Rongé par la culpabilité, il se tut pour écouter le bruit de sa respiration. La cadence lente et régulière de son souffle parvint à l'apaiser malgré son angoisse. Il aurait voulu prendre sa main mais il ne s'autorisait plus à le toucher après lui avoir fait tant de mal. Tristement, il se contenta de poser les fleurs sur une table éloignée du lit, jeta un dernier coup d'œil vers Gabriel et sortit.

Il revint dans sa voiture, démuni face à la violence des émotions qui déferlaient en lui. Il était incapable de partir, il avait le sentiment d'abandonner pour la énième fois l'homme qu'il aimait le plus au monde. Il quitta la clinique avec la ferme intention d'y revenir au plus vite et prit une grande inspiration avant de démarrer.

Un jour peut-être, il reviendrait et Gabriel ne serait plus là, gardant comme dernier souvenir sa trahison. Il devait penser sans cesse à ce moment où Jordan avait affirmé, froidement et en public, qu'il ne l'aimait pas. Et s'il venait à mourir, Jordan en serait le seul responsable. Il lui avait tout pris, sa carrière, sa confiance et son coeur, de toutes les manières possibles.

Alors qu'il accélérait, des larmes de douleur et de culpabilité le prirent en étau, l'empêchant de respirer correctement. Pour la première fois de sa vie, Jordan avait perdu tout contrôle. Il n'avait jamais conduit aussi dangereusement, cherchant par la prise de risque à expier ses fautes.

L'image de Gabriel endormi lui revint en mémoire, et penser au rythme apaisant de sa respiration lui permit de retrouver ses esprits. Il savait que malgré tout ce qu'il lui avait fait subir, le jeune homme n'aurait pas souhaité le voir dans un état pareil. Il arriva finalement chez lui sain et sauf et s'écroula sur son lit, agité par de violents sanglots. 

Un point partout (Attal x Bardella)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant